Alors que le ministère de la Communication sénégalais menace Jeune Afrique de sanctions sévères, jusqu’à l’expulsion de son représentant local, voilà que le président Bassirou Diomaye Faye participe en grande pompe au Africa CEO Forum, un événement justement organisé… par ce même média. Un paradoxe ? Non, une faute politique. Et pire encore : un signal inquiétant sur la gestion de la communication présidentielle.
En pleine tempête, où le gouvernement sénégalais accuse Jeune Afrique d’attaques répétées et de publications diffamatoires, le chef de l’État s’affiche publiquement aux côtés des responsables du média, notamment Amir Ben Yahmed, fondateur du forum, et Aurélie M’Bida, qui animera le panel. L’image est brutale : pendant que l’un tape, l’autre serre la main. Où est la cohérence du pouvoir ?
La contradiction est flagrante : on ne peut pas condamner et collaborer dans le même souffle. Soit Jeune Afrique est un média à bannir, soit c’est un acteur légitime du débat africain. Mais on ne peut pas, sans que cela ne soulève de graves questions, décrier une presse libre à Dakar tout en légitimant sa parole à Abidjan. Cette position ambivalente révèle ce que beaucoup craignent : une cacophonie au sommet de l’État et un manque d’autorité politique claire.
Le Africa CEO Forum et Jeune Afrique ne sont pas neutres dans ce contexte. Le forum est une vitrine internationale. En s’y rendant malgré les tensions, le président semble ignorer l’appel de ses propres partisans, qui réclament une position ferme. Pire, il donne l’impression de piétiner ses propres institutions : faut-il comprendre que la mise en demeure évoquée par Habibou Dia ne représente pas la volonté de l’exécutif dans son ensemble ? Ou que le ministre de la Communication agit sans mandat ?
Certains observateurs, comme le journaliste Mamadou Lamine Diatta, s’interrogent à juste titre : pourquoi cette participation au forum ? Était-elle urgente, ou dictée par des intérêts extérieurs, comme le soutien à la candidature d’Amadou Hott à la tête de la BAD ? Si tel est le cas, le peuple sénégalais mérite des explications claires. Ce n’est pas le prestige international qui doit primer sur la cohérence politique interne.
La participation du Sénégal au Africa CEO Forum pouvait être défendue… dans un autre contexte. Mais dans celui-ci, c’est une erreur stratégique, une provocation envers ceux qui défendent la souveraineté médiatique, et un aveu : celui d’un pouvoir encore hésitant, tiraillé entre ambition diplomatique et manque de ligne directrice nationale.
Le Africa CEO Forum et Jeune Afrique deviennent ici le miroir grossissant d’un mal plus profond : l’incapacité du pouvoir à parler d’une seule voix. Ce flou dessert non seulement la présidence, mais affaiblit également la parole de l’État à l’international. Car que valent les menaces contre la presse si, en coulisses, on pactise avec elle ? C’est l’autorité du Sénégal qui vacille.
Tant que le président Bassirou Diomaye Faye ne clarifiera pas sa position vis-à-vis de Jeune Afrique, et tant que la communication gouvernementale restera éclatée, les Sénégalais auront des raisons légitimes de douter. De douter de la cohérence du régime. De douter de sa stratégie. Et peut-être même, de douter de sa sincérité.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Henriette Mané.
Mis en ligne : 14/05/2025
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