Depuis mai dernier, une équipe d’archéologues sénégalais mène des fouilles au cimetière militaire de Thiaroye. Des squelettes portant des traces de balles auraient été découverts, relançant les interrogations autour du massacre du 1er décembre 1944, où des tirailleurs africains auraient été tués par l’armée coloniale française pour avoir osé réclamer leur dû.
Si cette enquête scientifique semble a priori salutaire pour rétablir une vérité historique longtemps étouffée, nous émettons ici des réserves quant à la sincérité et au timing de cette initiative, que nous jugeons potentiellement instrumentalisée à des fins politiques.
Le cimetière militaire de Thiaroye n’est pas un simple site archéologique. C’est un symbole douloureux de l’injustice coloniale. Le massacre de 1944, encore peu enseigné et rarement reconnu dans sa pleine mesure, reste une plaie ouverte dans la mémoire collective africaine et une tâche dans les relations franco-sénégalaises. Les tirailleurs, ces anciens combattants recrutés de force ou par besoin dans les colonies, ont longtemps été relégués aux marges de l’histoire officielle.
Ce qui interpelle dans cette opération archéologique, c’est d’abord l’opacité qui l’entoure. Aucune communication officielle sur les découvertes, un « black-out quasi total », des réponses évasives des autorités, et l’annonce d’un rapport qui serait d’abord remis au pouvoir politique avant d’être éventuellement rendu public. Ce manque de transparence nourrit les doutes.
Si la volonté était réellement de faire la lumière sur les événements, pourquoi ne pas associer la société civile, les historiens, les descendants des tirailleurs, et rendre compte régulièrement à l’opinion publique ?
Le timing des fouilles au cimetière militaire de Thiaroye interroge : pourquoi maintenant ? Pourquoi ce regain d’intérêt pour Thiaroye à un moment où le Sénégal traverse des tensions politiques, sociales et identitaires majeures ? Ne s’agit-il pas là d’une stratégie d’apaisement symbolique, visant à détourner l’attention ou à redorer l’image d’un pouvoir en mal de légitimité morale ?
L’histoire a montré, au Sénégal comme ailleurs, comment les pouvoirs utilisent la mémoire à leur profit. En Algérie, en France, ou même au Rwanda, l’invocation de la mémoire historique a souvent servi à consolider des récits politiques officiels, quitte à passer sous silence certains faits ou à orienter les conclusions d’enquêtes.
Nous ne remettons pas en cause l’importance de faire la lumière sur le massacre de Thiaroye. Bien au contraire. Mais ce devoir de mémoire ne doit en aucun cas être instrumentalisé à des fins politiciennes. Les victimes et leurs descendants méritent la vérité, pas une version édulcorée ou filtrée selon les intérêts du moment.
Oui, il faut exhumer la vérité sur Thiaroye. Oui, les preuves scientifiques peuvent aider à lever le voile sur ce crime colonial. Mais non, nous ne devons pas accepter une vérité confisquée, censurée ou mise en scène. Le peuple sénégalais mérite une mémoire libre, pas une mémoire sous contrôle.
Le gouvernement doit publier immédiatement les premiers résultats des fouilles, garantir l’indépendance totale des experts impliqués, et associer les acteurs de la mémoire à chaque étape. À défaut, ces fouilles ne seront qu’un théâtre de plus, et non un pas vers la justice.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Coumba Ndiaye.
Mis en ligne : 06/06/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.