Dans une récente sortie médiatique, Serigne Mboup, PDG du groupe CCBM, s’est indigné de l’attribution d’un marché public à une entreprise étrangère, dénonçant un « mépris » envers les entreprises locales comme la sienne. Bien qu’il affirme ne pas avoir participé à l’appel d’offres, il fustige les critères d’attribution, évoque un sentiment d’injustice et en appelle à un meilleur traitement des sociétés sénégalaises.
Mais soyons clairs : ce discours victimaire, venant d’un acteur économique aguerri, sonne comme un chantage à la préférence nationale. Et cela, l’État ne peut et ne doit l’accepter.
Le marché public concerné est celui de l’Assemblée nationale, que CCBM n’a pas contesté par voie légale, mais plutôt médiatique. Depuis plusieurs années, l’État sénégalais cherche à instaurer plus de transparence dans l’attribution des marchés publics via l’ARMP (Autorité de Régulation des Marchés Publics) et une plateforme de publication centralisée des appels d’offres. Ces efforts visent à garantir une concurrence loyale entre entreprises, nationales ou étrangères, en se basant sur des critères techniques et financiers objectifs.
Serigne Mboup, dont l’entreprise n’a pas soumis d’offre, remet néanmoins en question l’attribution du marché. Il évoque des arriérés impayés et un passif glorieux dans la fourniture de véhicules à l’État. Mais cela suffit-il à réclamer un droit quasi-acquis à de futurs marchés publics ? L’État ne fonctionne pas sur la base de dettes morales ni de récompenses électorales. Le favoritisme est précisément ce que les nouvelles règles veulent éviter. Être « champion national » ne donne aucun passe-droit.
L’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. L’État, en tant que régulateur, ne peut favoriser une entreprise sous prétexte de nationalité. Ce serait ouvrir la porte à l’opacité, à la connivence et à l’inefficacité.
La concurrence est un levier de performance. Si CCBM est compétitif, elle gagnera naturellement des marchés sans besoin de plainte publique. Si elle ne l’est pas, elle doit se remettre en question. Les marchés ne sont pas des compensations pour bons et loyaux services.
Les griefs doivent suivre les voies de recours légales. Le PDG dit avoir saisi le Club des investisseurs du Sénégal. Mais qu’en est-il des recours devant l’ARMP ? Pourquoi ne pas défendre ses droits par les voies prévues ? Chercher à influencer l’opinion publique n’est pas un substitut au respect des procédures.
L’État doit rester impartial. Le développement du secteur privé local est important, mais cela passe par l’exemplarité des entreprises, non par l’instauration d’un climat de pression ou de victimisation dès qu’un marché public leur échappe.
Les données de l’ARMP montrent qu’en 2023, près de 80 % des marchés publics ont été attribués à des entreprises sénégalaises. Ce chiffre bat en brèche le mythe d’une préférence généralisée pour l’étranger. Par ailleurs, les cas de favoritisme ou d’irrégularités signalés concernent souvent des entreprises locales accusées de manquements aux normes ou de surfacturation. Dans un tel environnement, l’exigence de rigueur doit s’appliquer à tous, sans exception.
Au Maroc, en Côte d’Ivoire ou encore au Rwanda, les États promeuvent leur secteur privé… sans jamais le faire au détriment de la transparence. Les marchés sont gagnés sur la base de dossiers solides, pas sur des déclarations dans la presse. Vouloir un « traitement patriotique » équivaut à un retour en arrière.
Serigne Mboup veut se poser en héraut des entreprises nationales. Mais ce plaidoyer sonne faux quand il oublie que l’équité s’applique aussi aux multinationales sénégalaises comme la sienne. L’État n’a pas à plier devant les états d’âme des patrons déçus. Ce qu’on attend d’un chef d’entreprise, ce n’est pas de crier à l’injustice chaque fois qu’il ne gagne pas, mais de se battre à armes égales. L’appel au favoritisme national est une dangereuse dérive. Je le dis haut et fort : la République ne distribue pas des marchés en guise de remerciements électoraux.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mohamed Gueye.
Mis en ligne : 13/06/2025
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Le chantage à la préférence ne passe pas : Marchés publics au Sénégal
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