Du 9 au 11 avril 2025, Auchan Sénégal a organisé avec grand tapage sa toute première Foire des Fournisseurs Locaux, une initiative prétendument dédiée à la valorisation du Made in Sénégal. Pendant trois jours, le géant de la grande distribution a déroulé un programme dense, entre panels, expositions et rencontres.
L’événement, largement relayé par les médias, a été présenté comme une main tendue au tissu entrepreneurial local. Mais faut-il y voir autre chose qu’un coup de communication bien huilé, destiné à redorer l’image d’une multinationale régulièrement accusée d’asphyxier les petits commerces locaux ?
Depuis son implantation au Sénégal, Auchan n’a cessé d’être la cible de critiques. Accusée d’imposer une concurrence déloyale aux boutiques de quartier et aux marchés traditionnels, l’enseigne a tenté, à plusieurs reprises, de verdir son image. Cette Foire des Fournisseurs Locaux s’inscrit clairement dans cette logique : celle d’un repositionnement stratégique visant à apaiser les tensions et s’acheter une légitimité nationale. Organiser des panels sur le Made in Sénégal et l’inclusion économique sonne bien mais cela reste, au fond, de la poudre aux yeux.
Ce qui frappe, au lendemain de cette foire, c’est l’absence de suivi réel. Aucun chiffre précis n’a été communiqué sur les débouchés obtenus par les fournisseurs. Combien ont signé des contrats durables avec Auchan ? Combien verront effectivement leurs produits intégrés dans les rayons de manière régulière, à des prix justes ? Silence radio. Tout porte à croire que cette initiative n’était qu’un événement ponctuel, sans réelle volonté de changement systémique dans les relations entre la grande distribution et les producteurs sénégalais.
Dans plusieurs régions du Sénégal, des coopératives agricoles peinent à écouler leurs productions, faute de circuits de distribution viables. Une étude du CRES (Consortium pour la Recherche Économique et Sociale, 2023) montrait déjà que plus de 65 % des producteurs locaux se plaignent du manque d’accès aux grandes surfaces. Et pourtant, Auchan continue d’importer en masse des produits agricoles basiques tomates, pommes de terre, oignons au détriment d’une agriculture locale pourtant dynamique mais fragilisée.
Ce genre d’opération est monnaie courante. En Afrique du Sud, Shoprite a tenté en 2020 une stratégie similaire, vantant un support accru aux producteurs nationaux, sans jamais changer fondamentalement ses pratiques d’achat. Ce modèle de communication fondé sur l’événementiel et la récupération du discours localiste est un piège : il donne bonne conscience aux consommateurs et endort la vigilance des décideurs publics.
Cette foire n’est pas un engagement. C’est un écran de fumée. Une vraie politique de soutien aux producteurs locaux exige transparence, traçabilité et engagement contractuel sur le long terme. Elle exige aussi de revoir les rapports de force entre multinationales et acteurs économiques locaux. Tant qu’Auchan continuera à pratiquer une logique extractive et opportuniste, ces foires ne seront que des vitrines temporaires, sans lendemain.
Le patriotisme économique ne peut être un simple décor de scène pour firmes étrangères. La souveraineté alimentaire se construit sur des partenariats réels, équitables et durables. Le peuple sénégalais mérite mieux que des campagnes d’image déguisées en fausse solidarité économique.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Paul Diatta.
Mis en ligne : 14/06/2025
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