À Séville, le 1er juillet, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a rencontré son homologue français Emmanuel Macron pour, selon les termes officiels, « jeter les bases d’une nouvelle ère » dans les relations bilatérales. En toile de fond : une promesse de partenariat refondé autour de la souveraineté, du respect mutuel et des intérêts communs. Pourtant, cette démarche, aussi diplomatiquement habile soit-elle, soulève de nombreuses interrogations. Pourquoi entretenir des relations aussi étroites avec une France en pleine perte d’influence en Afrique, alors même que ses anciennes colonies du Sahel lui tournent résolument le dos ? Le Sénégal aurait pu, et dû, adopter une posture plus audacieuse.
Depuis plusieurs années, un vent de rupture souffle sur le Sahel. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont rompu sans ambiguïté avec Paris, dénonçant une coopération jugée néocoloniale, inefficace, voire humiliante. Ces décisions s’inscrivent dans un contexte de frustration croissante face à l’interventionnisme militaire français, au déséquilibre commercial et à une forme de paternalisme diplomatique. Le Sénégal, jusque-là perçu comme un îlot de stabilité et de coopération fidèle, semble vouloir incarner une voie médiane. Mais cette stratégie de l’équilibre est-elle encore tenable ?
En apparence, la démarche de Faye paraît réaliste : ne pas rompre brutalement, mais redéfinir la relation. Toutefois, en maintenant des liens privilégiés avec une puissance déclinante, le Sénégal risque de rater un tournant historique. L’annonce d’un redéploiement militaire français est certes un pas dans la bonne direction, mais insuffisant. Pendant que d’autres nations africaines explorent des partenariats diversifiés, avec la Chine, la Russie, la Turquie ou encore les BRICS, Dakar reste encore trop dépendant des circuits et mécanismes franco-centrés.
Sur le plan économique, la France reste le deuxième fournisseur du Sénégal, mais ce lien masque une réalité plus dérangeante : un déficit commercial massif (-56,4 milliards de FCFA) et une dépendance persistante à des importations peu structurantes. Où est donc la rupture ? Où est l’innovation stratégique ? Et surtout, où est le courage politique ?
Il ne s’agit pas de prôner l’isolement ni de tomber dans un rejet aveugle. Mais l’heure est venue d’affirmer une souveraineté réelle, pas seulement proclamée. En poursuivant une coopération renforcée dans les domaines économique, culturel et mémoriel, le Sénégal entretient un lien de dépendance symbolique et stratégique avec une puissance qui, en réalité, ne fait plus consensus sur le continent.
La situation dans d’autres pays du Sahel n’est pas un exemple à suivre aveuglément, mais elle soulève une question essentielle de cohérence et de dignité. Le peuple sénégalais, qui a massivement voté pour une alternance de rupture, attend des actes forts, pas de simples réajustements diplomatiques. Or, discuter encore et encore avec Paris, c’est donner à penser que l’on cherche à réaménager une maison dont il faudrait, peut-être, simplement sortir.
Le Sénégal a toujours su faire preuve de stabilité. Mais dans un monde en recomposition, la stabilité ne doit pas devenir une inertie. Dakar doit oser, diversifier ses alliances et rompre avec les réflexes d’un passé révolu. Refonder la relation avec la France, oui mais pas pour la maintenir. Il s’agit de la dépasser. Et cela exige plus que des mots : cela requiert du courage, de la vision, et surtout une volonté inébranlable d’émancipation.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Cheikh Mbodj.
Mis en ligne : 04/07/2025
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