Vendredi dernier, trois journalistes collaborant avec l’Agence France-Presse (AFP) ont été interpellés par la Section de recherches de la gendarmerie à Ziguinchor, alors qu’ils réalisaient un reportage sur le déminage humanitaire en Casamance. Selon L’Observateur, Patrick Meinhardt, Maguette Gaye et Malick Rocky Bâ ont été renvoyés à Dakar pour défaut d’autorisation du ministère de la Communication. Derrière ce rappel à l’ordre administratif se dessine un climat préoccupant de restriction de la liberté de la presse.
La Casamance, marquée par des décennies de conflit, fait aujourd’hui l’objet d’efforts considérables de réhabilitation.
Le déminage humanitaire dans cette région est non seulement un enjeu sécuritaire, mais aussi une condition sine qua non du retour des populations déplacées, du développement agricole et de la reconstruction économique. Le reportage visait à éclairer ces dynamiques positives. Pourtant, au lieu d’être encouragés, les journalistes ont été sommés de plier bagage.
Les autorités invoquent un défaut d’autorisation administrative pour justifier l’interpellation. Certes, un encadrement légal peut être requis dans des zones sensibles. Mais l’argument de la sécurité, souvent brandi sans transparence, devient suspect lorsqu’il sert à écarter des reporters documentant une initiative gouvernementale pourtant saluée. Quel risque présentait vraiment la présence de journalistes accrédités travaillant pour une agence internationale réputée ? Était-il nécessaire de les escorter jusqu’à l’aéroport comme s’ils représentaient une menace ? Le traitement réservé aux journalistes semble disproportionné et traduit un climat de défiance envers la presse.
Cette affaire s’inscrit dans un contexte régional et international de plus en plus hostile au journalisme d’investigation. À l’heure où la liberté de la presse est en recul dans plusieurs pays d’Afrique, ces pratiques envoient un mauvais signal. Elles renforcent l’idée que les zones à “statut particulier” sont en réalité des zones d’ombre où l’information devient une menace. Pourtant, dans une démocratie fonctionnelle, la presse joue un rôle essentiel de transparence, particulièrement dans des zones longtemps marquées par les conflits.
Des situations similaires ont été observées ailleurs sur le continent. En Éthiopie, durant le conflit du Tigré, plusieurs journalistes locaux et étrangers ont été arrêtés sous prétexte de “sécurité nationale”. Au Cameroun, les reporters couvrant les tensions dans les régions anglophones font régulièrement l’objet de harcèlements et d’arrestations arbitraires. Ces cas montrent que le motif sécuritaire est de plus en plus souvent utilisé pour restreindre l’accès à l’information.
Il faut sortir de cette logique de méfiance systématique envers la presse. Les journalistes ne sont pas des ennemis de l’État. Ils sont des acteurs de la démocratie, des témoins du progrès comme des dérives. Ce qui s’est passé en Casamance est une alerte : si même les initiatives positives du gouvernement deviennent inaccessibles au regard public, alors c’est l’ensemble du récit national qui se construit à huis clos.
La liberté de la presse ne peut être à géométrie variable. Il faut que les autorités sénégalaises garantissent un accès clair et encadré, mais non arbitraire, aux zones sensibles, dans le respect du droit à l’information. Ce n’est pas en escortant les journalistes hors du terrain qu’on construit la confiance entre les institutions et les citoyens. C’est en les écoutant, en les laissant voir, et surtout, en les laissant dire.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Mané.
Mis en ligne : 19/07/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.




