Un cadeau empoisonné pour la pêche artisanale : Aide de la FAO à Joal - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Business | Par Eva | Publié le 29/07/2025 08:07:00

Un cadeau empoisonné pour la pêche artisanale : Aide de la FAO à Joal

Le 10 juillet dernier, la FAO, par le biais du projet FISH4ACP, a remis officiellement des subventions et du matériel d’une valeur de 213 millions FCFA à la filière ostréicole sénégalaise, lors d’une cérémonie à Joal. Si cette initiative semble incarner un soutien louable à la modernisation de la pêche artisanale. Derrière cet élan de solidarité se dessine une dynamique de dépendance, alimentée par des intérêts extérieurs plus préoccupés par leurs propres retours que par les véritables besoins locaux.

Depuis plusieurs années, des projets de développement portés par des organisations internationales comme la FAO se multiplient au Sénégal, notamment dans les secteurs agricoles et halieutiques. Le projet FISH4ACP, financé par l’Union européenne et le gouvernement allemand, entend rendre les chaînes de valeur de la pêche plus inclusives et durables dans douze pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Le Sénégal, riche de ses ressources maritimes, est l’un des bénéficiaires, avec un accent mis sur l’ostréiculture.

En apparence, les dons et subventions remis à Joal visent à renforcer les capacités locales. Des pirogues motorisées, des équipements modernes et une stratégie décennale sont annoncés comme les piliers d’un avenir durable. Toutefois, l’origine du financement, les modalités de mise en œuvre et la place réelle des acteurs locaux dans la gouvernance du projet posent question. Qui fixe les priorités ? Quelle marge de manœuvre est laissée aux communautés locales pour adapter les outils à leurs réalités ? La présence marquée de la FAO, de l’UE et du BMZ dans la conception, le suivi et l’évaluation du projet semble davantage orienter la dynamique vers une logique d’ingérence douce que de coopération équilibrée.

Dépendance structurelle masquée : Bien que présentée comme une aide au développement, l’intervention de la FAO enferme les bénéficiaires dans une logique de dépendance financière et technique. À long terme, les groupements locaux pourraient ne plus pouvoir fonctionner sans le soutien externe, faute de véritables transferts de compétences et de technologies durables.

Priorités exogènes vs besoins endogènes : La stratégie décennale proposée n’a pas émergé d’une concertation populaire élargie, mais semble plutôt calquée sur des normes internationales de durabilité, de productivité et de rentabilité. Le risque est grand que les véritables besoins des communautés sécurité alimentaire locale, souveraineté économique, traditions de pêche artisanale soient relégués au second plan.

Conflits d’intérêts sous-jacents : Les bailleurs du projet (UE, Allemagne) ne sont pas neutres. Ils ont des intérêts stratégiques dans la régulation des flux migratoires, la sécurité alimentaire mondiale et le développement de marchés d’exportation. Ainsi, soutenir l’ostréiculture sénégalaise peut indirectement servir leurs propres objectifs géopolitiques, parfois au détriment des autonomies locales.

Des rapports comme celui de The Oakland Institute ou de Survie alertent depuis longtemps sur les pièges de la coopération dite « pour le développement ». Ils dénoncent une logique d’ingérence douce, où les financements sont souvent accompagnés d’une ingérence technique et politique. En Afrique de l’Ouest, de nombreux projets agricoles ou halieutiques financés par la Banque mondiale ou la FAO ont fini par bénéficier à des multinationales exportatrices, plutôt qu’aux communautés locales.

Au Mozambique, un projet de développement de la pêche financé par l’UE a conduit à la privatisation de zones de pêche traditionnelles, excluant les communautés locales. De même, au Ghana, des aides au développement de la filière cacao ont profité à de grandes firmes de transformation occidentales, au détriment des petits producteurs. Ces cas montrent que sous couvert d’appui, ce sont souvent les intérêts des bailleurs qui prévalent.

Derrière la générosité apparente du soutien de la FAO à la filière ostréicole sénégalaise, se cache une logique plus complexe et préoccupante : celle d’une dépendance programmée, où les acteurs locaux deviennent les exécutants d’un projet pensé ailleurs. Si la coopération internationale reste précieuse, elle ne doit pas être un levier de contrôle. Le Sénégal doit rester maître de ses politiques de développement et s’assurer que toute aide extérieure serve d’abord ses propres priorités.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pathé Gueye.
Mis en ligne : 29/07/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top