Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »
Avec « Porozé bi », Thiat, membre historique du groupe Keur Gui et figure emblématique du mouvement Y’en a marre, signe un nouveau titre à la fois attendu et corrosif. Le rappeur y dénonce, avec son style caractéristique fait de métaphores et de jeux de mots, les contradictions du régime actuel, l’effondrement du secteur BTP (-19,6 % au premier trimestre 2025) et les dérives autoritaires d’un pouvoir qu’il accuse d’avoir trahi ses promesses.
La force de sa charge critique ne fait aucun doute, mais elle interroge également sur ses motivations : s’agit-il d’une analyse sincère ou d’une stratégie pour rester audible dans un paysage politique et artistique de plus en plus concurrentiel ? Et si Thiat, plutôt que de faire évoluer son discours, se contentait de surenchérir pour ne pas être dépassé par de nouvelles voix, plus jeunes et tout aussi radicales que lui ?
Thiat a émergé au début des années 2010 comme l’un des visages du mouvement Y’en a marre, qui a joué un rôle clé dans la mobilisation contre le président Abdoulaye Wade. Son engagement lui a valu une légitimité rare pour un artiste : il était écouté au-delà des cercles du hip-hop, reconnu comme un porte-parole de la jeunesse sénégalaise.
Depuis, le paysage politique et culturel a profondément changé. Le Sénégal a connu des alternances, de nouvelles crises, et surtout l’émergence d’une génération d’artistes et d’activistes capables de porter des discours tout aussi radicaux, parfois plus audacieux. Dans ce contexte, Thiat semble piégé par son propre personnage : pour rester la « conscience critique » du pays, il doit intensifier la virulence de ses propos, au risque de tomber dans la caricature ou l’opportunisme.
Son dernier titre s’inscrit dans cette logique. Il attaque frontalement le régime du Pastef, le parti d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye, qu’il a pourtant soutenu lors des dernières élections. Ce revirement brutal suscite des interrogations légitimes : critique-t-il par conviction ou par calcul, pour ne pas céder le monopole de la contestation à d’autres ? Depuis Y’en a marre, ses textes reposent sur une formule éprouvée : une litanie de critiques contre le pouvoir, des métaphores chocs et une posture de résistant intraitable. Mais la constance de son discours, qui dénonce les mêmes maux sous différents régimes, peut donner l’impression d’une facilité, d’une répétition sans analyse contextuelle.
Pire, ses attaques contre Pastef, qu’il soutenait encore récemment, sentent l’opportunisme. Ce revirement pourrait être motivé par la nécessité de se distinguer dans un environnement où des rappeurs comme Dip Doundou Guiss ou de jeunes activistes gagnent en visibilité. Thiat semble parfois plus préoccupé par sa notoriété que par la cohérence de ses prises de position.
Cette stratégie n’est pas sans risque : en s’attaquant systématiquement à tout pouvoir en place, sans nuance ni propositions concrètes, il court le danger de perdre en crédibilité. Les Sénégalais, surtout les plus jeunes, ne se contentent plus de la simple indignation ; ils attendent des analyses fines et des solutions.
Thiat n’est pas le seul à tomber dans ce piège. Aux États-Unis, des rappeurs comme Ice Cube ou Kanye West ont été critiqués pour leurs revirements politiques, perçus comme des coups médiatiques plutôt que comme des prises de position réfléchies. Au Sénégal, d’autres artistes ont su faire évoluer leur discours en abordant des thématiques sociales et culturelles sans tomber dans le manichéisme. Thiat, lui, semble figé dans une radicalité permanente, comme si le public n’avait pas mûri depuis 2011.
Cette radicalité pose une question cruciale : jusqu’où ira-t-il pour rester « dans le game » ? Jusqu’à dénoncer ses anciens alliés ? Jusqu’à adopter des positions de plus en plus extrêmes, au risque de se couper d’une partie de son public ? À force de vouloir être le plus rebelle, il finit par ressembler à ce qu’il combat : un système où l’effet d’annonce prime sur la réflexion.
Thiat a joué un rôle historique dans l’éveil politique de la jeunesse sénégalaise. Mais aujourd’hui, son discours sonne creux. « Porozé bi » est un bon morceau, mais il n’offre pas de feuille de route. La contestation crédible nécessite des idées, pas seulement des cris. Les Sénégalais ont besoin d’artistes capables de penser et de proposer, pas seulement de dénoncer. Thiat a le talent, l’expérience et l’audience pour aller au-delà de la surenchère. S’il veut rester pertinent, il doit cesser de courir après la radicalité et commencer à construire quelque chose de concret. Sinon, il risque de devenir ce qu’il a toujours combattu : un produit du système, répétant inlassablement les mêmes refrains.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mathias S. Gomes.
Mis en ligne : 24/08/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.




