Fixation des prix locaux : L’équation impossible de Sonko - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Economie | Par Eva | Publié le 30/08/2025 12:08:00

Fixation des prix locaux : L’équation impossible de Sonko

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Le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment appelé à une « meilleure indexation » des prix sur le marché des oléagineux, afin d’assurer une « visibilité » et une « rentabilité » accrues pour les acteurs locaux. Il a également défendu le gel des exportations d’arachide, présenté comme un succès, et réaffirmé la volonté de protéger la SONACOS, entreprise publique en difficulté malgré des décennies de soutien étatique.

Si ces intentions peuvent sembler louables, elles reposent sur une illusion dangereuse : celle de croire que l’on peut maîtriser les prix et protéger une industrie naissante sans tenir compte des réalités économiques globales. En réalité, ces mesures risquent d’aggraver les distorsions du marché, de pénaliser les producteurs et les consommateurs, et de perpétuer les échecs des politiques dirigistes en Afrique.

Le Sénégal, comme la plupart des pays africains, reste fortement dépendant des cours internationaux pour les matières premières agricoles, notamment l’arachide. Les prix des oléagineux sont fixés sur les marchés mondiaux, en fonction de l’offre et de la demande, des spéculations, et des chocs géopolitiques. Vouloir les « indexer » localement, c’est ignorer que toute tentative de fixation administrative des prix a historiquement conduit à des pénuries, à la création de marchés parallèles, ou à une baisse de la qualité des produits. Les exemples ne manquent pas : en Tunisie, la fixation de prix maximums pour les produits de base a souvent entraîné des ruptures de stock et une hausse des prix sur le marché informel. En Afrique de l’Ouest, les politiques de subvention ou de contrôle des prix ont rarement atteint leurs objectifs, faute de mécanismes de régulation efficaces et transparents.

Ousmane Sonko s’étonne des méthodes de détermination des prix, liées selon lui aux cours mondiaux. Pourtant, c’est précisément cette dépendance qui rend toute indexation locale illusoire. Les prix de l’arachide et de l’huile végétale sont influencés par des facteurs exogènes (climat, demande asiatique, politiques commerciales des grands exportateurs), sur lesquels le Sénégal n’a aucune prise. Vouloir imposer une « visibilité » des prix revient à nier cette réalité.

De plus, les coûts de production locaux restent structurellement élevés, en raison de l’obsolescence des infrastructures, du manque d’efficacité énergétique, et de la bureaucratie. Le gouvernement mise sur une réduction des coûts via l’énergie, mais cela ne suffira pas à rendre les industries locales compétitives. Les exemples de protectionnisme en Afrique montrent que ces mesures profitent souvent à une poignée d’acteurs proches du pouvoir, sans améliorer la productivité ni la qualité. Pire, elles découragent l’innovation et l’entrée de nouveaux acteurs, en créant des rentes pour des entreprises peu performantes.

Le gel des exportations, présenté comme un succès, a en réalité créé une distorsion artificielle. Les producteurs sont privés de débouchés plus rémunérateurs, et les consommateurs paient le prix fort pour des produits locaux moins compétitifs. Les pertes accumulées par la SONACOS, malgré les subventions massives, prouvent que le protectionnisme ne résout pas les problèmes de fonds.

Les politiques de fixation des prix ou de protection douanière ont souvent pour conséquence une baisse de la qualité, faute de concurrence. Les entreprises protégées n’ont aucun incitatif à améliorer leurs produits ou leurs processus.

Avec une dette publique proche de 120 % du PIB et un déficit budgétaire chronique, le Sénégal peut-il se permettre de continuer à subventionner une entreprise défaillante ? Les 9,04 milliards de FCFA prévus pour combler l’écart entre le prix payé aux producteurs et le « prix économique » en 2024-2025 sont autant de ressources détournées d’investissements plus utiles (éducation, santé, infrastructures).

Le Premier ministre évoque l’ambition d’industrialiser le pays, mais le protectionnisme n’a jamais été un moteur de développement durable. Les économies qui ont réussi (Corée du Sud, Vietnam) l’ont fait en misant sur l’ouverture contrôlée, l’innovation et la compétitivité, pas sur des barrières douanières ou des monopoles publics.

En Asie, les pays qui ont protégé leurs industries naissantes (comme la Corée du Sud dans les années 1960) l’ont fait de manière ciblée et temporaire, en accompagnant les entreprises vers l’exportation et la compétitivité. Au Sénégal, le protectionnisme semble plutôt servir à perpétuer des structures inefficaces. En Afrique du Sud ou au Maroc, les filières agricoles compétitives sont celles qui ont su s’intégrer aux chaînes de valeur mondiales, pas celles qui se sont repliées sur elles-mêmes.

La volonté d’indexer les prix et de protéger la SONACOS est une utopie coûteuse. Plutôt que de chercher à contrôler l’incontrôlable, le gouvernement ferait mieux de libérer le secteur des entraves bureaucratiques, d’investir dans la modernisation des infrastructures, et de favoriser l’innovation et la concurrence. La souveraineté alimentaire et industrielle ne se décrète pas, elle se construit par la compétitivité, la transparence et l’ouverture maîtrisée.

Le Sénégal a besoin d’une politique agricole et industrielle réaliste, qui tienne compte des réalités du marché mondial. Sinon, les consommateurs et les contribuables continueront de payer le prix de cette illusion.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Amadou Gueye.
Mis en ligne : 30/08/2025

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