Preuves fragiles et procès bâclé : Kabila face à la cour militaire - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 02/09/2025 01:09:00

Preuves fragiles et procès bâclé : Kabila face à la cour militaire

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Le 22 août 2025, la Haute Cour militaire de Kinshasa a requis la peine de mort contre l’ancien président Joseph Kabila, jugé par contumace pour complicité avec la rébellion M23/AFC, soutenue par le Rwanda. Il lui est reproché trahison, complot, crimes de guerre, viol et apologie. Si l’accusation se veut catégorique, affirmant détenir des « preuves accablantes », une analyse minutieuse des éléments avancés révèle des failles majeures, des interprétations tendancieuses et un contexte judiciaire profondément politisé.

La RDC traverse une crise politique et sécuritaire persistante, marquée par des violences dans l’Est, où le M23 contrôle de vastes territoires. Depuis 2019, les relations entre Kinshasa et Kigali sont exacerbes, et le pouvoir actuel de Félix Tshisekedi accuse régulièrement Kabila de collusion avec le Rwanda.

Le procès s’inscrit dans un climat de polarisation, où la levée de l’immunité de Kabila par le Sénat, puis son jugement par contumace, ont été perçus par ses partisans comme une manœuvre politique plutôt que judiciaire. Dès l’ouverture du procès, le camp Kabila a dénoncé des « poursuites politiquement motivées et juridiquement contestables ».

L’accusation s’appuie principalement sur trois éléments : une déclaration de Kabila au Sunday Times selon laquelle le M23 « représentait les aspirations du peuple congolais », son passage par le Rwanda pour se rendre à Goma, et des témoignages, dont celui d’un condamné à mort. Or, aucun de ces éléments ne constitue une preuve irréfutable de complicité avec le M23.

Affirmer qu’un mouvement armé exprime des aspirations populaires est une opinion politique, pas une preuve de soutien logistique ou militaire. En démocratie, même les déclarations controversées ne sauraient suffire à condamner un homme pour crimes de guerre.

Le fait que Kabila soit passé par le Rwanda pour rejoindre Goma, ville sous contrôle des rebelles, est présenté comme une « parfaite collaboration ». Pourtant, des milliers de Congolais empruntent quotidiennement cette route, faute d’alternative sécurisée. Ce déplacement, sans preuve de coordination avec Kigali ou le M23, relève de la spéculation.

Des témoignages douteux : parmi les témoins cités figure Éric Nkuba, déjà condamné à mort, dont la crédibilité est sujette à caution. Les aveux obtenus sous la menace ou dans un contexte de pression judiciaire sont notoirement peu fiables. Par ailleurs, l’accusation n’a pas rendu publics les détails de ces témoignages, ni leur indépendance vis-à-vis du pouvoir en place.

Aucun document, enregistrement ou preuve matérielle n’a été présenté pour étayer l’idée que Kabila aurait financé, armé ou commandité les exactions du M23. Les experts soulignent que les tribunaux militaires congolais, souvent critiqués pour leur manque d’indépendance, sont peu aptes à garantir un procès équitable, surtout dans une affaire aussi politisée.

Plusieurs indices laissent penser que ce procès vise davantage à éliminer un adversaire qu’à rendre justice.

L’absence de débat contradictoire : Kabila, en exil, n’a pu se défendre. Un procès équitable exige que l’accusé puisse répondre aux accusations, surtout lorsque la peine de mort est en jeu.

La sélectivité des poursuites : pourquoi Kabila est-il le seul ciblé, alors que d’autres acteurs régionaux et locaux sont impliqués dans le conflit ? L’ONU et plusieurs pays occidentaux ont accusé le Rwanda de soutenir le M23, mais Kigali n’est pas jugé. La focalisation sur Kabila, ancien président et figure de l’opposition, interpelle.

L’instrumentalisation de la justice militaire : en Ouganda comme en RDC, les tribunaux militaires sont souvent utilisés pour juger des civils dans des affaires politiquement sensibles, ce qui soulève des questions sur leur impartialité. La jurisprudence régionale montre que ce type de procédure est incompatible avec les principes démocratiques et un procès équitable.

L’histoire africaine regorge d’exemples où la justice a servi à écarter des opposants. En Ouganda, l’opposant Kizza Besigye a été jugé par un tribunal militaire pour trahison, avant que la Cour suprême n’annule la procédure, soulignant l’incompatibilité d’un tel jugement avec les principes démocratiques. En RDC même, des procès similaires ont souvent été suivis de condamnations contestées, sans apaiser les tensions. À l’inverse, des pays comme l’Afrique du Sud ont privilégié la réconciliation et la justice transitionnelle pour sortir de crises profondes, évitant ainsi les règlements de comptes judiciaires.

La demande de peine de mort contre Joseph Kabila repose sur des preuves fragiles et des procédures contestables. Condamner un ancien chef d’État sans garantie d’un procès équitable risquerait de discréditer durablement la justice congolaise et d’aggraver les divisions nationales. Plutôt que de chercher à éliminer un adversaire, la RDC gagnerait à s’attaquer aux causes structurelles de l’instabilité à l’Est et à renforcer l’indépendance de sa justice.

La communauté internationale, les organisations de défense des droits de l’homme et la société civile congolaise doivent exiger un procès équitable, avec des preuves tangibles et un droit de défense effectif. La peine de mort, surtout dans un contexte aussi politisé, ne peut être une solution. La RDC mérite mieux qu’un procès spectacle : elle mérite une justice impartiale, transparente et respectueuse des droits fondamentaux.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Angéla K.
Mis en ligne : 02/09/2025

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