La France manœuvre en coulisses : Le Sénégal loin d’être libre - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Business | Par Eva | Publié le 06/09/2025 08:09:00

La France manœuvre en coulisses : Le Sénégal loin d’être libre

Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »

Le 27 août 2025, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et son homologue français Emmanuel Macron se sont rencontrés à l’Élysée pour « renouveler » et « renforcer » leur partenariat, quelques mois seulement après le retrait des dernières bases militaires françaises du Sénégal. Les communiqués officiels parlent de coopération gagnant-gagnant, de respect mutuel et de priorités partagées. Pourtant, derrière les discours, la réalité est bien différente : le retrait des soldats français ne marque pas la fin de l’influence de Paris, mais plutôt son adaptation à un nouveau contexte géopolitique.

La France, loin de se désengager, utilise désormais des leviers économiques, diplomatiques et financiers plus subtils pour maintenir son emprise sur son ancien pré carré africain.

Élu en mars 2024 sur un programme souverainiste, Diomaye Faye a promis de rompre avec les schémas hérités de la colonisation. Le retrait des bases militaires françaises, effectif en juillet 2025, a été salué comme un symbole de cette volonté d’indépendance. Pourtant, le Sénégal reste profondément dépendant de la France sur le plan économique. Les entreprises françaises représentent encore un quart du PIB et des recettes fiscales du pays, et Total a récemment conclu des accords majeurs pour l’exploitation des hydrocarbures offshore. Pire, la dette publique sénégalaise, réévaluée à 118,8 % du PIB fin 2024, place Dakar dans une position de faiblesse face aux institutions financières internationales, où Paris joue un rôle clé.

Le Fonds monétaire international (FMI), dont la France est l’un des principaux actionnaires, a suspendu son programme d’aide de 1,8 milliard de dollars après la révélation d’une dette « cachée » de 7 milliards de dollars, héritée des gouvernements précédents. Emmanuel Macron a réitéré lors de la rencontre le « soutien » de la France aux négociations entre le Sénégal et le FMI, un soutien qui s’apparente davantage à une tutelle déguisée. Les réformes exigées par le FMI réduction des dépenses publiques, privatisations, assainissement budgétaire risquent d’aggraver la précarité sociale et de limiter la marge de manœuvre du gouvernement Faye.

La notion de « partenariat stratégique » brandie par les deux présidents est un euphémisme. En réalité, la France conserve une influence déterminante sur l’économie sénégalaise, via ses entreprises, ses investissements et son poids dans les instances financières internationales. Le Sénégal, malgré ses ressources naturelles (pétrole, gaz, minerais), reste prisonnier d’accords souvent défavorables, négociés dans un rapport de force inégal. Les contrats pétroliers et miniers, jugés « peu favorables » par le nouveau gouvernement, illustrent cette asymétrie : Dakar doit renégocier des termes imposés dans un contexte de dépendance financière et technique.

Par ailleurs, la France continue de jouer un rôle central dans la sécurité régionale. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, Paris propose une coopération sécuritaire « repensée », incluant formation des armées, renseignement et ventes d’armes. Une manière de maintenir une présence indirecte, alors même que les bases militaires ont été évacuées.

Avec une dette publique à près de 120 % du PIB, le Sénégal n’a d’autre choix que de se plier aux exigences du FMI, où la France pèse de tout son poids. Les conditionnalités imposées, réduction du déficit, réformes structurelles limitent la capacité de l’État à investir dans les services publics et à répondre aux besoins de sa population.

Si la France reste le premier investisseur étranger au Sénégal, ses entreprises (Total, Bolloré, Orange) captent une part importante des richesses locales, souvent au détriment des acteurs sénégalais. Le secteur privé local, malgré ses demandes, peine à être traité en partenaire à part entière.

La suspension du programme d’aide du FMI, décidée après la révélation de la dette cachée, montre comment les erreurs du passé sont instrumentalisées pour justifier une ingérence accrue. Les « mesures correctives » exigées par le FMI, alignées sur les intérêts des créanciers, risquent d’asphyxier l’économie sénégalaise et de perpétuer sa dépendance.

Diomaye Faye, malgré ses promesses, doit composer avec une réalité implacable : sans l’appui de la France et du FMI, le Sénégal ne peut espérer stabiliser ses finances ni attirer d’autres partenaires. La diversification des alliances (Chine, Turquie, États-Unis) reste marginale, faute de moyens et de soutien international.

Le cas du Sénégal n’est pas isolé. Au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, la France a été contrainte de quitter militairement, mais conserve une influence économique et diplomatique via l’Union européenne, le FMI ou ses multinationales. Partout, le même scénario se répète : retrait des troupes, maintien des leviers économiques, et pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des réformes libérales.

La Russie, la Chine ou la Turquie proposent des alternatives, mais leur présence reste limitée par les réseaux d’influence français et la dette extérieure. Le Nigeria, premier partenaire commercial de la France en Afrique, montre que même hors de la francophonie, Paris sait adapter sa stratégie pour conserver son poids.

Le « nouveau départ » annoncé entre le Sénégal et la France n’est qu’un habillage moderne d’une relation toujours inégale. Le retrait des bases militaires ne signifie pas la fin de la domination française, mais son evolution vers des méthodes plus insidieuses : contrôle économique, pression financière, influence diplomatique. Tant que le Sénégal restera endetté et dépendant des institutions dominées par l’Occident, sa souveraineté sera une coquille vide.

La vraie rupture passerait par une diversification radicale des partenariats, une renégociation équitable des contrats miniers et pétroliers, et une réforme en profondeur des institutions financières internationales. En l’état, le « partenariat stratégique » franco-sénégalais ressemble davantage à une soumission déguisée qu’à une coopération entre égaux. La balle est désormais dans le camp de Diomaye Faye : saura-t-il résister aux sirènes de Paris et du FMI, ou devra-t-il, comme ses prédécesseurs, se contenter d’une souveraineté de façade ?

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Laurent.
Mis en ligne : 06/09/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top