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Le conflit interethnique qui secoue actuellement le nord-ouest du Ghana, opposant les communautés Brefors et Gonjas, est bien plus qu’un simple différend foncier. Il révèle les failles profondes d’un système de gestion des conflits souvent présenté comme un modèle en Afrique de l’Ouest. Pourtant, les événements récents des dizaines de morts, des milliers de déplacés, des réfugiés fuyant vers la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso montrent que le Ghana, souvent cité pour sa stabilité démocratique, peine à résoudre pacifiquement ses tensions internes.
L’échec des mécanismes traditionnels de résolution des conflits, la lenteur des autorités à agir, et la fragilité des institutions chargées de la sécurité et de la gestion des crises interrogent : le Ghana est-il vraiment ce pays pacifique et bien gouverné qu’on vante ?
Les autorités ghanéennes ont réagi avec retard. Il a fallu une semaine de violences et des dizaines de morts pour que le gouvernement déploie 300 policiers et instaure un couvre-feu. Pire, les « discussions » engagées par le président John Dramani Mahama avec les chefs traditionnels et les parties prenantes arrivent après l’escalade, alors que les combats se sont déjà propagés. Pourtant, les tensions entre Brefors et Gonjas, notamment pendant la saison sèche, sont connues de longue date. Pourquoi les chefs traditionnels, acteurs clés de la médiation locale, n’ont-ils pas été impliqués en amont ?
Leur rôle est pourtant central : au Ghana, 80 % des terres sont sous régime coutumier, et les chefs sont responsables de la médiation des conflits fonciers et de la cohésion sociale. Leur exclusion des processus de prévention et de résolution rapide des tensions est une erreur stratégique. Comme le souligne Eliasu Tanko, journaliste spécialiste du Nord-Ghana, ces communautés « finissent généralement par trouver une résolution pacifique » mais encore faut-il leur en donner les moyens avant que la violence n’éclate.
La gestion de la crise par les autorités est chaotique. La police annonce 23 morts, la Croix-Rouge 34, et la Nadmo (l’agence nationale de gestion des catastrophes) évoque plus de 100 000 déplacés, soit le double des estimations de la Croix-Rouge. Cette cacophonie révèle un manque de coordination et une méconnaissance de la situation sur le terrain. La Nadmo et les forces de l’ordre semblent incapables de protéger les populations ou de fournir des données fiables, ce qui sape la confiance dans les institutions. Comment croire en la capacité de l’État à gérer une crise quand ses propres services peinent à s’accorder sur les bilans ?
Le conflit actuel risque de créer un effet domino. Les Brefors ont des liens ethniques avec des communautés en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Si les violences persistent, on peut craindre des représailles transfrontalières, comme l’a souligné Eliasu Tanko. La région est déjà fragilisée par la présence de groupes jihadistes au Sahel et par des tensions intercommunautaires récurrentes. Au Ghana même, d’autres conflits interethniques, comme celui de Bawku entre Mamprusi et Kusasi, montrent que les querelles de chefferie et les différends fonciers sont des facteurs de radicalisation et d’instabilité. La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, qui accueillent déjà des réfugiés ghanéens, pourraient être entraînés dans une spirale de violences si le conflit n’est pas rapidement maîtrisé.
Le Ghana n’est pas le seul pays confronté à des tensions interethniques. En Côte d’Ivoire, les conflits fonciers dans l’Ouest ont été l’un des déclencheurs de la crise politico-militaire des années 2000, avec des conséquences dramatiques pour toute la sous-région. Au Burkina Faso, les chefs coutumiers peinent à contenir les pressions sur les terres, exacerbées par l’insécurité et les changements climatiques. Mais là où le Ghana se distinguait, c’était par sa capacité à désamorcer les crises avant qu’elles ne dégénèrent. Aujourd’hui, cette réputation est écornée. Les mécanismes traditionnels de résolution des conflits, autrefois efficaces, montrent leurs limites face à des enjeux modernes : pression démographique, exploitation minière, et instrumentalisation politique des divisions ethniques.
Le Ghana doit urgemment réformer sa gestion des conflits. Cela passe par une meilleure implication des chefs traditionnels dans la prévention, un renforcement des institutions locales, et une réponse plus rapide et coordonnée des autorités centrales. Sinon, le pays risque de perdre son statut d’île de stabilité en Afrique de l’Ouest. La crise actuelle est un signal d’alarme : sans action décisive, les tensions « mineures » d’aujourd’hui pourraient devenir les guerres de demain. Le Ghana a les moyens d’éviter ce scénario, à condition de ne plus sous-estimer l’urgence de la situation et de restaurer la confiance dans ses institutions. La paix ne se décrète pas, elle se construit et c’est maintenant qu’il faut agir.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Amadou Diop.
Mis en ligne : 08/09/2025
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