Le Nil sous contrôle éthiopien : Tensions régionales à l’horizon - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 11/09/2025 07:09:15

Le Nil sous contrôle éthiopien : Tensions régionales à l’horizon

Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »

Le 9 septembre 2025, l’Éthiopie a officiellement inauguré le Grand Barrage de la Renaissance (GERD), un projet hydroélectrique ambitieux sur le Nil Bleu. Présenté comme une prouesse technique et un symbole de développement, ce méga-barrage suscite néanmoins des préoccupations majeures concernant les tensions géopolitiques et les risques humanitaires qu’il engendre pour ses voisins, l’Égypte et le Soudan.

Le Nil est une artère vitale pour près de 300 millions de personnes. Depuis des décennies, son partage est régi par des traités, notamment l’accord de 1959 entre l’Égypte et le Soudan, qui répartit ses ressources sans inclure l’Éthiopie. Addis-Abeba, qui contribue pourtant à 85 % du débit du fleuve, a longtemps contesté cette exclusion.

La construction du GERD, lancée en 2011, devait corriger cette injustice historique. Cependant, en imposant unilatéralement ce barrage sans cadre juridique acceptable pour ses voisins, l’Éthiopie a choisi la confrontation plutôt que le dialogue.

Le GERD, censé être un moteur de développement, est devenu un catalyseur de divisions. L’Éthiopie, en finançant elle-même le projet via des appels aux dons et des obligations publiques, en a fait un symbole d’unité nationale. Cependant, cette unité se construit sur le dos de ses voisins. Le Premier ministre Abiy Ahmed affirme que le barrage « ne nuira à personne », mais les faits contredisent ses propos. Les experts, comme la consultante Ana Cascao, reconnaissent que le remplissage du réservoir n’a pour l’instant pas eu d’impact négatif en aval. Cependant, ils avertissent : en cas de sécheresse prolongée, les conséquences pourraient être dramatiques. Or, dans un contexte de réchauffement climatique, où les ressources en eau se raréfient, ce scénario n’a rien d’hypothétique.

Le vrai problème n’est pas seulement technique, mais politique. L’Éthiopie a systématiquement rejeté les propositions de calendrier de remplissage progressif ou de mécanismes de gestion conjointe. Elle invoque sa souveraineté, oubliant que le Nil est un bien commun. En agissant ainsi, elle viole l’esprit, sinon la lettre, des accords internationaux sur les fleuves transfrontaliers, qui prônent une gestion équitable et raisonnable. Le GERD n’est pas qu’un barrage : c’est une arme géopolitique, brandie pour imposer un rapport de force.

L’Égypte, déjà en situation de stress hydrique, ne peut se permettre de perdre ne serait-ce qu’une partie de son approvisionnement. Avec une population de 110 millions d’habitants et une agriculture entièrement dépendante du Nil, le pays risque des pénuries alimentaires massives. Les autorités égyptiennes estiment avoir besoin de 114 milliards de mètres cubes d’eau par an, alors qu’elles n’en disposent que de 59,6 milliards. Le GERD, en retenant l’eau en amont, aggravera cette crise. Les infrastructures défaillantes égyptiennes, souvent pointées du doigt, ne suffisent pas à expliquer ce déficit structurel. Le vrai problème, c’est l’absence de coordination régionale.

Les tensions autour du Nil ne datent pas d’hier. En 2020, l’Égypte a menacé d’utiliser « tous les moyens nécessaires » pour protéger ses intérêts, une formulation qui n’exclut pas une intervention militaire. Si cette option reste improbable, elle illustre l’ampleur des craintes. Le Soudan, pris entre deux feux, tente de jouer les médiateurs, mais son instabilité politique le rend vulnérable. Sans accord, le risque d’un conflit larvé, cyberattaques, sanctions économiques, soutien à des groupes armés, est bien réel. L’Union africaine, impuissante, et la communauté internationale, divisée, laissent la crise s’envenimer.

L’Afrique a besoin de solidarité pour relever ses défis climatiques et économiques. Pourtant, avec le GERD, l’Éthiopie envoie un message clair : chaque pays doit défendre ses intérêts, quitte à ignorer ceux des autres. Cette logique du « chacun pour soi » est dangereuse. Elle pourrait inciter d’autres États riverains de fleuves transfrontaliers (Congo, Zambèze, Niger) à adopter la même attitude, multipliant les conflits. À l’heure où le continent doit s’unir face aux défis globaux, le GERD est un mauvais signal.

L’histoire regorge d’exemples où la gestion unilatérale des ressources en eau a conduit à des crises. En Asie, les barrages chinois sur le Mékong ont exacerbé les tensions avec le Vietnam, le Laos et la Thaïlande, provoquant des sécheresses en aval. Au Moyen-Orient, la Turquie et la Syrie se disputent depuis des décennies les eaux de l’Euphrate. Dans tous les cas, l’absence de coopération a aggravé les pénuries et les conflits. L’Éthiopie aurait pu s’inspirer de modèles plus vertueux, comme l’accord entre l’Inde et le Bangladesh sur le partage du Gange, qui a évité une guerre en 1996. Au lieu de cela, elle répète les mêmes erreurs.

« Un barrage ne se remplit pas seulement d’eau, mais aussi de ressentiment. » Cette phrase résume parfaitement la situation. Le GERD pourrait être une opportunité de développement pour toute la région, à condition que l’Éthiopie accepte de négocier un cadre équitable. Pourtant, en refusant tout compromis, Addis-Abeba joue avec le feu. La communauté internationale doit agir avant qu’il ne soit trop tard : imposer une médiation contraignante, sous l’égide de l’ONU ou de l’Union africaine, et sanctionner toute partie qui refuserait de coopérer.

L’Éthiopie a le droit de se développer, mais pas au prix de la stabilité régionale. Le GERD doit devenir un symbole de coopération, et non de division. Sinon, ce ne sont pas seulement les eaux du Nil qui s’assécheront, mais aussi les espoirs de paix et de prospérité pour des millions de personnes. Il est encore temps d’éviter le pire, à condition que la raison l’emporte sur l’orgueil national.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Jacques Gomez.
Mis en ligne : 11/09/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top