Un malade mental en garde à vue : Echec d’un système judiciaire - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Fait divers | Par Eva | Publié le 15/09/2025 02:09:15

Un malade mental en garde à vue : Echec d’un système judiciaire

Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »

Le 8 septembre 2025, à Sare Gayo près de Koussanar, un jeune homme de 22 ans, Thierno Shakir D., souffrant de troubles psychiatriques, a agressé sexuellement une femme après s’être échappé de la surveillance de son père. Arrêté, il a invoqué une « mission divine » pour justifier son acte. Ce drame pose une question cruciale : le Sénégal dispose-t-il d’un cadre juridique et judiciaire adapté pour gérer les infractions commises par des personnes atteintes de troubles mentaux ?

La réponse est non. Placer un malade mental en garde à vue comme un criminel ordinaire, sans évaluation rigoureuse de sa responsabilité pénale ni prise en charge adaptée, révèle les failles d’un système qui met en danger à la fois les victimes et les malades.

Au Sénégal, comme dans de nombreux pays, la question de la responsabilité pénale des personnes souffrant de troubles mentaux reste floue. Le Code pénal sénégalais, inspiré du droit français, prévoit bien l’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement (article 122-1 du Code pénal français, similaire aux dispositions sénégalaises). Pourtant, dans la pratique, les tribunaux peinent à appliquer ces principes. Les expertises psychiatriques sont rares, les magistrats peu formés, et les structures de soin spécialisées quasi inexistantes en dehors de Dakar. Résultat : des individus malades se retrouvent en prison, sans suivi adapté, tandis que les victimes, comme Aïssatou C., voient leurs agresseurs bénéficier d’une impunité de fait, faute de procédures claires.

En France, pays souvent cité en exemple, la réforme de 2021 a tenté de clarifier les choses, mais elle a aussi créé de nouvelles zones d’ombre, notamment en excluant l’irresponsabilité pénale en cas d’intoxication volontaire ou en aggravant les peines pour les récidivistes, même malades. Au Sénégal, aucune réforme récente n’a modernisé ce cadre. Pire, les rares dispositifs existants (comme les hospitalisations d’office) sont sous-financés et mal coordonnés. Les familles, livrées à elles-mêmes, assument seule la charge des malades, jusqu’au drame.

L’affaire Thierno Shakir D. illustre parfaitement cet échec. Son placement en garde à vue, comme s’il était un délinquant ordinaire, est une aberration. Comment un système judiciaire peut-il ignorer que son état mental nécessite une prise en charge médicale plutôt que carcérale ? Les tribunaux sénégalais, faute de moyens et de formation, traitent ces cas au cas par cas, sans garantie d’équité. Les expertises psychiatriques, quand elles existent, sont souvent contestées ou réalisées dans l’urgence, sans suivi post-jugement.

Comparons avec d’autres pays : en Europe, des unités psychiatriques en prison ou des centres spécialisés permettent une évaluation et un suivi des détenus malades. Au Sénégal, rien de tel. Les prisons deviennent des dépotoirs pour malades mentaux, sans soin ni perspective de réinsertion. Quant aux victimes, elles subissent une double peine : l’agression, puis l’impression que justice ne sera jamais rendue.

Le risque est clair : sans cadre juridique précis, sans formation des magistrats et des forces de l’ordre, sans structures de soin accessibles, de tels drames se répéteront. Chaque agression commise par un malade mental non suivi est un échec de l’État, une trahison de sa mission de protection.

Placer un malade mental en garde à vue, c’est nier sa condition et aggraver son état. La prison n’est pas un hôpital. Pourtant, au Sénégal, faute d’alternatives, c’est souvent la seule « solution » proposée.

En l’absence de procédure adaptée, les auteurs d’infractions souffrant de troubles psychiatriques échappent souvent à une véritable sanction, tout en restant dangereux. Les victimes, elles, restent sans réponse.

Sans prise en charge, ces individus ressortent sans traitement, sans suivi, prêts à recommencer. La société paiera à nouveau le prix de cette négligence.

On stigmatise les maladies mentales, on les cache, jusqu’à ce qu’elles explosent au grand jour. Où sont les campagnes de sensibilisation ? Où sont les budgets alloués à la santé mentale ?

Le Sénégal ne peut plus se contenter de demi-mesures. Il faut :

Réformer le Code pénal pour clarifier les procédures d’évaluation de la responsabilité pénale en cas de troubles mentaux, en s’inspirant des bonnes pratiques internationales (expertises systématiques, unités psychiatriques en milieu carcéral, alternatives à l’incarcération). Former les magistrats, les policiers et les soignants à la gestion des infractions liées à la santé mentale. Investir massivement dans les structures de soin psychiatrique, en région comme à Dakar, pour éviter que des familles ne se retrouvent seules face à la maladie. Protéger les victimes en garantissant que chaque agression fera l’objet d’une réponse judiciaire et médicale adaptée.

La justice ne peut plus être un loterie où le sort des malades et des victimes dépend du hasard ou de la géographie. Le drame de Sare Gayo doit servir de déclic. Sinon, demain, ce sera une autre Aïssatou, un autre village, une autre impunité.

L’affaire Thierno Shakir D. n’est pas un fait divers de plus. C’est le symbole d’un système judiciaire et sanitaire en faillite face aux troubles psychiatriques. Tant que le Sénégal refusera de se doter des outils nécessaires, les malades resteront des criminels en puissance, et les victimes, des oubliées de la justice. Il est temps de cesser de tergiverser : la dignité des malades et la sécurité de tous l’exigent.
La question n’est plus de savoir si une réforme est nécessaire, mais quand elle sera enfin mise en œuvre. Combien de drames faudra-t-il encore pour que l’État agisse ?

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Fanta Faye.
Mis en ligne : 15/09/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top