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Chaque année, une mission de cardiologues français se rend à Dakar pour traiter des patients sénégalais atteints de lésions coronaires complexes. Présentée comme une « bouffée d’oxygène » pour le système de santé local, cette coopération franco-sénégalaise est saluée pour son apport technique et humain. Pourtant, derrière les chiffres et les déclarations optimistes, se cache une réalité bien moins reluisante : ces missions, aussi louables soient-elles, ne sont que des gouttes d’eau dans un océan de besoins.
Leur impact réel sur la santé cardiovasculaire au Sénégal reste limité, éphémère, et soulève des questions sur les priorités sanitaires du pays.
Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité au Sénégal, où près de 43 % de la population souffre d’une maladie du cœur et où un adulte sur trois est hypertendu. Chaque année, deux Sénégalais sur dix meurent de ces affections, un taux bien supérieur à celui des pays développés. Face à cette épidémie, les ressources locales sont insuffisantes : manque de cardiologues, pénurie de matériel, liste d’attente interminable, et coût exorbitant des interventions. Dans ce contexte, l’arrivée d’une équipe française pour traiter 25 patients en cinq jours peut sembler une aubaine. Mais à y regarder de plus près, cette initiative ponctuelle ne répond qu’à une infime partie du problème.
La mission française est présentée comme une solution, alors qu’elle n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Traiter cinq à six cas par jour pendant une semaine est dérisoire face à la vingtaine de cas hebdomadaires reçus par le seul service de cardiologie de l’Hôpital Général Idrissa Pouye, sans compter les milliers de patients non diagnostiqués ou en attente. Pire, ces interventions ciblent les cas les plus complexes, laissant de côté la majorité des Sénégalais qui n’ont pas accès à des soins spécialisés. Le Dr Diop lui-même reconnaît que le nombre de cas est « très récurrent et probablement sous-diagnostiqué ». Comment, dans ces conditions, une mission annuelle peut-elle prétendre avoir un impact significatif ?
Les promoteurs de cette coopération mettent en avant le « transfert de compétences » et la « montée en compétences des médecins locaux ». Pourtant, un débriefing après chaque intervention et la présentation de matériel souvent indisponible localement suffisent-ils à former des experts ? Les médecins sénégalais formés sur le tas, sans accès régulier à ce matériel coûteux, peuvent-ils vraiment appliquer ces techniques une fois les Français repartis ? Rien n’est moins sûr. Les missions ponctuelles ne permettent pas une appropriation durable des savoir-faire, et le risque est grand de voir ces compétences s’évanouir faute de pratique régulière.
Le discours sur la prévention (hypertension, diabète, tabac) est récurrent, mais où sont les campagnes massives, les dépistages gratuits, ou les politiques publiques fortes pour lutter contre ces facteurs de risque ? Les spécialistes sénégalais alertent depuis des années sur l’urgence d’agir en amont, mais les moyens manquent cruellement. L’OMS recommande de réduire de 25 % les décès prématurés dus aux maladies cardiovasculaires d’ici 2025, notamment en améliorant l’accès aux médicaments essentiels et en renforçant la prévention primaire. Pourtant, les efforts se concentrent sur des interventions hautement spécialisées, coûteuses et réservées à une minorité, plutôt que sur des mesures accessibles à tous.
D’autres pays africains ont tenté des approches similaires, avec des résultats mitigés. En Afrique subsaharienne, les coopérations médicales internationales sont souvent critiquées pour leur manque de pérennité et leur incapacité à s’intégrer dans les systèmes de santé locaux. Des initiatives comme « Better Hearts Better Cities », lancée par la Fondation Novartis à Dakar, montrent que des progrès sont possibles grâce à une approche communautaire et multisectorielle. Pourquoi ne pas s’inspirer de ces modèles, plutôt que de miser sur des missions éphémères ?
La coopération franco-sénégalaise en cardiologie interventionnelle n’est pas inutile, mais son impact reste marginal. Pour vraiment faire la différence, il faudrait investir massivement dans la prévention, la formation continue des soignants, et l’équipement des hôpitaux locaux. Les missions ponctuelles, aussi médiatisées soient-elles, ne suffiront pas à endiguer l’épidémie de maladies cardiovasculaires au Sénégal. Il faut passer des gestes symboliques à des actions structurelles, pour que chaque Sénégalais, et pas seulement une poignée de patients sélectionnés, puisse bénéficier de soins de qualité.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Alassane Sow.
Mis en ligne : 16/09/2025
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