Visas gratuits pour tous : Le Burkina Faso teste ses limites - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 16/09/2025 01:09:00

Visas gratuits pour tous : Le Burkina Faso teste ses limites

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Le 11 septembre 2025, le gouvernement burkinabè a annoncé la gratuité des visas pour tous les ressortissants africains, une mesure présentée comme un pas vers l’intégration continentale et la libre circulation. Portée par une vision panafricaniste, cette décision suscite l’admiration de certains, mais elle soulève aussi des questions fondamentales : avant de parler de libre circulation, ne faudrait-il pas d’abord régler les crises politiques, économiques et sécuritaires qui minent l’Afrique ? Si l’idéal est louable, sa mise en œuvre dans le contexte actuel semble prématurée, voire risquée.

Le Burkina Faso, comme beaucoup de pays africains, fait face à des défis majeurs : insécurité persistante, pauvreté endémique et une économie fragile. Quarante pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté, et le pays est confronté à une crise sécuritaire sans précédent, avec des millions de déplacés internes et des zones entières échappant au contrôle de l’État. Dans ce contexte, la gratuité des visas, bien que symbolique, apparaît comme une mesure déconnectée des priorités immédiates.

L’intégration africaine, souvent évoquée comme une solution miracle, se heurte à des réalités tenaces : les économies du continent restent peu diversifiées, les infrastructures sont défaillantes et les tensions sociales, exacerbées par les migrations et la xénophobie, persistent. Dans plusieurs pays, l’arrivée de migrants a régulièrement alimenté des violences et des discriminations, révélant la difficulté à gérer les flux humains dans des sociétés déjà fragilisées. Ces exemples montrent que la libre circulation, sans cadre économique et politique solide, peut aggraver les tensions plutôt que de les apaiser.

La décision du Burkina Faso s’inscrit dans une logique de solidarité continentale, mais son impact réel est incertain. D’abord, parce que le visa reste obligatoire : la gratuité ne supprime pas les lourdeurs administratives, qui découragent souvent les voyageurs. Ensuite, parce que cette mesure, prise unilatéralement, risque de rester lettre morte si les autres pays africains ne la réciproquent pas. À ce jour, seuls quelques États ont adopté des politiques similaires, et l’harmonisation des règles de circulation reste inachevée.

Surtout, la gratuité des visas ne résout pas les problèmes structurels qui freinent l’intégration : manque d’infrastructures transfrontalières, disparités économiques criantes et absence de coordination entre les États. Comment imaginer une libre circulation efficace quand les frontières sont encore des zones de conflit, quand les économies peinent à créer des emplois et quand les populations locales perçoivent les migrants comme une menace plutôt qu’une opportunité ?

La libre circulation suppose des États stables. Pour que la circulation des personnes soit bénéfique, il faut des institutions solides, une économie inclusive et une sécurité garantie. Or, le Burkina Faso, comme le Mali ou le Niger, est engagé dans une lutte quotidienne contre le terrorisme et l’insécurité. Dans un tel contexte, ouvrir les frontières sans renforcer les contrôles pourrait aggraver les risques sécuritaires, en facilitant les mouvements de groupes armés ou de réseaux criminels.

Les migrations peuvent être source de tensions. L’histoire récente montre que les flux migratoires intra-africains, lorsqu’ils ne sont pas encadrés, peuvent exacerber les conflits. Dans plusieurs pays, les vagues de xénophobie contre les migrants africains ont révélé les limites de la coexistence pacifique. Au Burkina Faso, où les ressources sont déjà rares, un afflux de visiteurs pourrait alimenter des rivalités pour l’accès à l’emploi, au logement ou aux services publics.

Le coût économique et social de la mesure est également sous-estimé. La suppression des frais de visa prive l’État de recettes, alors que le budget est déjà tendu par les dépenses de sécurité et les besoins humanitaires. Sans compensation, cette perte pourrait peser sur les services publics ou entraîner une hausse des impôts, au détriment des populations locales.

L’intégration ne se décrète pas, elle se construit. L’Afrique a besoin de commerce, d’investissements et d’infrastructures bien plus que de symboles. La Zone de libre-échange continentale pourrait booster le PIB africain à condition que les États résolvent d’abord leurs crises internes et coordonnent leurs politiques. Sans cela, la gratuité des visas restera une coquille vide.

La gratuité des visas est une belle idée, mais elle arrive trop tôt. Plutôt que de multiplier les gestes politiques, le Burkina Faso et ses partenaires devraient se concentrer sur l’essentiel : restaurer la sécurité, renforcer les économies locales et bâtir une intégration fondée sur des projets concrets (énergie, transports, éducation). La libre circulation est un objectif, pas une fin en soi. Sans stabilité ni développement, elle risque d’aggraver les inégalités et les tensions, au lieu de les réduire.

Il est temps de cesser les effets d’annonce et de s’attaquer aux racines des problèmes. L’Afrique a besoin de paix, de croissance et de coopération réelle, pas de mesures cosmétiques qui, sans accompagnement, pourraient se retourner contre ceux qu’elles prétendent aider. La gratuité des visas ? Peut-être un jour. En attendant, priorité à l’urgence : sauver les vies, créer des emplois et construire une Afrique unie par la prospérité, pas par la précarité.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahim Cissoko.
Mis en ligne : 16/09/2025

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