L’autonomie vaccinale en trompe-l’œil : Le vrai prix du vaccinopole - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Santé | Par Eva | Publié le 21/09/2025 06:09:00

L’autonomie vaccinale en trompe-l’œil : Le vrai prix du vaccinopole

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Le 17 septembre 2025, une délégation de députés européens a visité le vaccinopole de Diamniadio, au Sénégal, saluant « l’innovation locale » et la contribution de cette infrastructure à la souveraineté vaccinale du continent. Le directeur du site, Lamine Séne, a rappelé que la « Team Europe » a financé plus de 50 % du projet, avec l’ambition d’atteindre 300 millions de doses annuelles et 60 % d’autonomie vaccinale africaine d’ici 2040. Si le discours officiel célèbre une avancée historique, une analyse plus fine révèle une réalité moins glorieuse : celle d’une dépendance déguisée, où l’autonomie affichée masque une forte reliance aux financements, technologies et priorités étrangères. Jusqu’où cette « souveraineté » est-elle réelle ?

Le vaccinopole de Diamniadio, présenté comme un fleuron de l’autonomie sanitaire africaine, est en réalité un projet largement porté par des bailleurs de fonds internationaux. Selon les sources officielles, plus de 130 milliards de FCFA sont nécessaires à sa construction, dont une part majeure provient de l’Union européenne (75 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement), de la Société financière internationale, et de l’Agence française de développement. À ce jour, seul le vaccin contre la fièvre jaune est produit localement, parmi les 14 inscrits au programme national sénégalais. La montée en puissance annoncée (de 5 à 50 millions de doses) reste tributaire de partenariats extérieurs, tant pour le financement que pour les savoir-faire.

Cette situation n’est pas isolée : en Afrique, seuls 1 % des vaccins administrés sont produits localement, et la plupart des initiatives de production dépendent de transferts de technologie et de financements occidentaux. Le Sénégal, comme d’autres pays africains, se heurte à un paradoxe : pour s’affranchir de la dépendance, il doit d’abord accepter de s’y soumettre.

Plus de la moitié du budget du vaccinopole est assuré par des partenaires européens. Que se passera-t-il si ces fonds viennent à manquer, ou si les priorités géopolitiques de l’UE changent ? L’exemple de l’Afrique du Sud est éloquent : malgré des investissements massifs et la création d’un hub de transfert de technologie pour les vaccins ARNm, le pays peine à produire à grande échelle, faute de maîtrise totale de la chaîne de valeur. Les laboratoires occidentaux, comme Pfizer ou Moderna, bloquent souvent le transfert de brevets et de savoir-faire, limitant les pays africains à des rôles de sous-traitants.

Le Sénégal produit des vaccins, mais maîtrise-t-il vraiment toute la chaîne, de la recherche à la logistique ? Les partenariats avec l’UE et les multinationales imposent des conditionnalités : priorité à la fièvre jaune (un marché rentable et déjà couvert), plutôt qu’à des maladies négligées comme la dengue ou la tuberculose. Les usines locales se contentent souvent d’étapes finales (remplissage, conditionnement), tandis que les intrants critiques et les brevets restent aux mains des laboratoires occidentaux.

Les bailleurs de fonds et les partenaires industriels orientent la production vers des vaccins « stratégiques » pour eux, pas forcément pour l’Afrique. Ainsi, le vaccinopole de Diamniadio risque de devenir un outil au service des intérêts européens, plutôt qu’une réponse aux besoins sanitaires locaux. Comme le souligne un rapport de l’OMS, « les investissements internationaux s’emploient à déployer l’industrie manufacturière de vaccins, mais les pays africains restent dépendants pour l’accès aux technologies et aux marchés ».

L’Afrique du Sud, souvent citée en exemple, illustre les limites de ces partenariats. Malgré la création d’un centre de transfert de technologie pour les vaccins ARNm, le pays a dû importer des doses moins chères d’Inde, faute de compétitivité locale. Au Maroc, les ambitions de production (70 % des besoins nationaux d’ici 2025) reposent sur des accords avec des firmes chinoises ou indiennes, sans réelle maîtrise technologique. Partout, l’autonomie vaccinale se heurte à la réalité des brevets, des coûts, et de la concurrence internationale.

Si l’UE ou d’autres partenaires réduisent leur soutien, le vaccinopole pourrait devenir un « éléphant blanc », comme tant d’autres infrastructures africaines abandonnées faute de moyens.

La concentration sur la fièvre jaune (déjà couverte à 90 % en Afrique de l’Ouest) au détriment d’autres maladies révèle un biais dans les choix de production, dicté par les bailleurs plutôt que par les besoins locaux.

Les chercheurs formés grâce à ces projets sont souvent recrutés par des laboratoires occidentaux, et les bénéfices générés par les vaccins produits localement risquent d’être réinvestis selon des logiques commerciales, pas sanitaires.

Le vaccinopole de Diamniadio est une avancée symbolique, mais son modèle repose sur une dépendance structurelle. Tant que l’Afrique ne maîtrisera pas l’intégralité de la chaîne de valeur recherche, brevets, production, distribution et tant que les financements et les technologies viendront de l’extérieur, l’autonomie sanitaire restera un leurre. La vraie souveraineté passera par des investissements massifs dans la formation, la recherche locale, et la levée des obstacles aux transferts de technologie.

En l’état, le projet de Diamniadio ressemble davantage à une vitrine géopolitique pour l’Europe qu’à une solution durable pour l’Afrique. La question n’est pas de savoir si le Sénégal peut produire des vaccins, mais à quel prix, pour qui, et sous quelle influence. La souveraineté sanitaire ne se décrète pas ; elle se construit, loin des discours et des financements extérieurs.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Kassé Amar.
Mis en ligne : 21/09/2025

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