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Le ministère de l’Éducation nationale du Sénégal a récemment annoncé une réforme ambitieuse : intégrer l’intelligence artificielle (IA) dans les pratiques pédagogiques dès la prochaine rentrée scolaire. Parmi les mesures phares, la formation de 105 000 enseignants et la distribution de 5 000 ordinateurs portables aux élèves des séries scientifiques (S1 et S3) sont présentées comme des leviers de modernisation et d’équité éducative.
Pourtant, derrière ces chiffres impressionnants se cache une réalité moins reluisante : cette réforme, en ciblant uniquement une minorité d’élèves, risque d’aggraver les inégalités déjà criantes dans le système éducatif sénégalais. Plutôt qu’un progrès pour tous, elle pourrait bien devenir un privilège pour quelques-uns, laissant de côté la majorité des apprenants et gaspillant des ressources qui auraient pu être mieux utilisées ailleurs.
Le Sénégal, comme beaucoup de pays africains, fait face à des défis éducatifs majeurs : manque d’infrastructures, taux de scolarisation inégal selon les régions, et fracture numérique persistante. Selon une étude récente, 42 % de la population sénégalaise n’a toujours pas accès à Internet, et les compétences numériques restent limitées pour des millions de citoyens.
Dans ce contexte, l’introduction de l’IA et du numérique à l’école devrait être une opportunité pour réduire les écarts, pas pour les creuser. Pourtant, en réservant les ordinateurs et les formations avancées aux seules filières scientifiques, le ministère prend le risque de marginaliser les élèves des autres sections (littéraires, techniques, professionnelles), ainsi que ceux des zones rurales ou défavorisées.
La distribution de 5 000 ordinateurs aux élèves de S1 et S3 est présentée comme une avancée. Mais à y regarder de plus près, cette mesure soulève plusieurs questions :
Pourquoi limiter ces outils aux séries scientifiques ? Les élèves des autres filières n’ont-ils pas besoin de compétences numériques ? En concentrant les ressources sur une élite, la réforme renforce une logique d’exclusion, où seuls les « futurs leaders technologiques » bénéficient d’un accompagnement de pointe.
Rien ne garantit que ces ordinateurs seront utilisés pour l’IA ou l’apprentissage. Dans d’autres pays, des initiatives similaires ont souvent vu les tablettes ou ordinateurs devenir des outils de distraction, faute d’encadrement pédagogique adapté.
Les budgets alloués à cette réforme auraient-ils été mieux investis dans des besoins plus urgents ? Améliorer les conditions d’enseignement pour tous (classes surchargées, manque de manuels, électricité et eau potable dans les écoles) aurait peut-être un impact plus direct sur la réussite scolaire.
Le Rwanda, souvent cité en exemple, a choisi une voie différente. Plutôt que de miser sur des outils high-tech réservés à une minorité, le pays a développé des « smart classrooms » accessibles à tous les niveaux et toutes les filières, en s’appuyant sur des solutions solaires pour électrifier les écoles rurales. Résultat : une inclusion numérique bien plus large, sans créer de nouvelles inégalités. Au Sénégal, en revanche, la stratégie actuelle risque de reproduire les erreurs du passé, où les projets numériques ont souvent bénéficié aux zones urbaines au détriment des campagnes.
Une priorité mal placée : Dans un pays où des écoles manquent encore de tables, de craie et d’enseignants qualifiés, l’IA apparaît comme un luxe. Les 5 000 ordinateurs ne représenteront qu’une goutte d’eau face aux besoins réels du système éducatif.
En ciblant uniquement les séries scientifiques, la réforme envoie un message clair : seuls certains élèves méritent d’être préparés aux défis du XXIe siècle. Les autres sont laissés pour compte, comme si leur avenir comptait moins.
Les fonds publics auraient pu être utilisés pour des mesures plus inclusives, comme la généralisation de l’accès à l’électricité et à Internet dans toutes les écoles, ou la formation de tous les enseignants aux bases du numérique – pas seulement à l’IA.
L’intégration de l’IA dans l’éducation n’est pas une mauvaise idée en soi. Mais pour qu’elle profite à tous, elle doit être pensée différemment : étendue à toutes les filières, accompagnée d’un plan d’électrification et de connectivité ambitieux, et centrée sur les besoins réels des élèves et des enseignants. En l’état, cette réforme risque de devenir un symbole de plus des inégalités éducatives au Sénégal.
Il est encore temps de corriger le tir. Le ministère doit revoir sa copie et garantir que le numérique à l’école serve l’équité, et non l’exclusion. Sinon, l’IA ne sera qu’un nouveau privilège pour une minorité, et une promesse de plus non tenue pour la majorité. Le Sénégal mérite mieux qu’une modernisation à deux vitesses.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Saliou Mbaye.
Mis en ligne : 23/09/2025
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