Une souveraineté qui cache l’impunité : Le Sahel tourne le dos à la CPI - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 26/09/2025 01:09:00

Une souveraineté qui cache l’impunité : Le Sahel tourne le dos à la CPI

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Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont officiellement annoncé leur retrait de la Cour pénale internationale (CPI) le 22 septembre 2025, accusant l’institution d’être un « instrument de répression néocoloniale » et de pratiquer une « justice sélective ». Cette décision, présentée comme une affirmation de souveraineté, intervient alors que ces trois pays sont dirigés par des juntes militaires arrivées au pouvoir par des coups d’État entre 2020 et 2023.

Leur argumentaire repose sur la volonté de créer une Cour pénale sahélienne et de s’affranchir d’une juridiction internationale perçue comme partiellement ciblant l’Afrique. Cependant, cette décision soulève de sérieuses interrogations sur la crédibilité de leur engagement en faveur de la justice et de l’État de droit.

Les trois pays ont justifié leur retrait par la nécessité de protéger leur souveraineté et de lutter contre l’impunité à leur manière. Pourtant, leur propre bilan en matière de démocratie et de respect des droits humains est loin d’être convaincant.

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont tous repoussé à plusieurs reprises les élections promises pour un retour à l’ordre constitutionnel. Au Mali, la junte a prolongé sa transition jusqu’en 2027, tandis qu’au Burkina Faso et au Niger, les partis politiques ont été dissous ou suspendus, et les dirigeants militaires se sont octroyé des mandats de cinq ans, consolidant ainsi leur pouvoir sans légitimité électorale. Ces reports successifs montrent que leur priorité n’est pas la démocratie, mais le maintien au pouvoir.

Les régimes en place ont multiplié les mesures restrictives contre la société civile, les médias et l’opposition. Au Mali, des associations ont été dissoutes, et des opposants emprisonnés. Au Burkina Faso et au Niger, les libertés fondamentales sont également menacées, avec des lois répressives et des arrestations arbitraires.

Les trois pays se sont rapprochés de la Russie, dont le président Vladimir Poutine est lui-même visé par un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre en Ukraine. Ce partenariat remet en question leur discours anti-impérialiste, car il les place sous l’influence d’un État qui rejette lui aussi les normes internationales de justice.

Les dirigeants de l’Alliance des États du Sahel (AES) reprochent à la CPI de cibler uniquement l’Afrique. Pourtant, la Cour a ouvert des enquêtes dans des pays non africains, comme l’Ukraine, la Palestine, l’Afghanistan et la Géorgie. En 2024, la CPI a émis des mandats d’arrêt contre des responsables russes et israéliens, prouvant qu’elle ne se limite pas au continent africain. Par ailleurs, plusieurs pays africains, comme la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo et le Sénégal, restent membres de la CPI et collaborent avec elle, montrant que l’adhésion à cette institution n’est pas incompatible avec la souveraineté.

Leur accusation de partialité semble donc davantage motivée par la crainte de poursuites pour leurs propres crimes. En effet, les armées du Mali, du Burkina Faso et du Niger sont régulièrement accusées de violations graves des droits humains dans leur lutte contre le terrorisme, sans que leurs dirigeants n’aient à rendre de comptes.

Les trois pays annoncent la création d’une Cour pénale régionale pour remplacer la CPI. Cependant, plusieurs éléments jettent le doute sur son indépendance et son efficacité.

Aucun détail concret n’a été donné sur le fonctionnement, le financement ou les garanties d’impartialité de cette future Cour. Sans mécanismes de contrôle international, elle risque de devenir un outil de légitimation des régimes en place, plutôt qu’un véritable tribunal indépendant.

Une juridiction régionale contrôlée par des gouvernements non démocratiques pourrait ignorer les crimes commis par leurs propres forces armées ou leurs alliés. L’exemple du Burundi, qui avait quitté la CPI en 2017 avant de revenir sous la pression internationale, montre que les retraits précipités affaiblissent la lutte contre l’impunité.

En 2016, le Burundi, la Gambie et l’Afrique du Sud avaient également menacé de quitter la CPI, avant que la Gambie et l’Afrique du Sud ne reviennent sur leur décision. Leur expérience illustre les risques d’isolement et de perte de crédibilité pour les États qui tournent le dos à la justice internationale. Le Burundi, resté hors de la CPI, a vu sa situation des droits humains se dégrader, sans alternative crédible pour juger les crimes graves.

Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger s’inscrit dans une logique similaire : plutôt que de réformer la CPI de l’intérieur, ils préfèrent s’en exclure, au mépris des victimes de crimes qui n’auront plus accès à un recours impartial.

Le retrait de ces trois pays de la CPI est une décision politique, motivée par la volonté d’échapper à toute responsabilité pour leurs actes. En quittant la Cour, ils privent leurs citoyens d’un mécanisme essentiel de protection contre les abus de pouvoir et affaiblissent la lutte contre l’impunité au Sahel.

Plutôt que de dénoncer la CPI, ces régimes devraient s’engager à respecter leurs propres promesses démocratiques et à garantir une justice indépendante. Leur « souveraineté » invoquée ne doit pas servir de prétexte pour consolider des pouvoirs autoritaires et échapper à la justice. La communauté internationale doit rester vigilante et soutenir les victimes, qui méritent mieux qu’une justice à géométrie variable.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Thierno Fall.
Mis en ligne : 26/09/2025

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