Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »
Le ministère de l’Intérieur sénégalais a réagi avec une célérité suspecte à la fuite de Madiambal Diagne, journaliste et homme d’affaires sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire. Dans un communiqué aussi sec que peu convaincant, il annonce la suspension des chefs de la Division des Investigations criminelles (DIC) et du Commissariat de l’aéroport international Blaise Diagne, tout en rappelant que des instructions de vigilance avaient pourtant été données. Mais à qui veut-on faire croire que ces deux hauts responsables, soudain sacrifiés sur l’autel de la communication politique, sont les seuls coupables ?
La réalité est bien plus gênante : cette affaire révèle une fois de plus l’incurie d’un système sécuritaire à bout de souffle, où l’on préfère désigner des boucs émissaires plutôt que d’assumer une responsabilité collective.
Madiambal Diagne, figure médiatique controversée, est accusé de mouvements financiers suspects s’élevant à 21 milliards de francs CFA. Placé sous contrôle judiciaire, il a pourtant réussi à quitter le Sénégal dans la nuit du 23 au 24 septembre 2025, malgré une interdiction formelle. Le ministère de l’Intérieur, dans un exercice de communication bien rodé, a immédiatement suspendu deux de ses cadres, comme si cette mesure suffisait à restaurer la confiance dans des institutions minées par des années de dysfonctionnements. Pourtant, la question reste entière : comment un homme sous surveillance judiciaire a-t-il pu franchir les frontières sans que personne ne s’en aperçoive ? La réponse est simple : parce que le système est défaillant, et que les instructions, aussi claires soient-elles, ne valent rien sans les moyens humains et techniques pour les appliquer.
Les observateurs ne s’y trompent pas. Comme le souligne La Nouvelle Tribune, cette affaire « interroge sur la fiabilité des dispositifs de surveillance aux frontières et sur la capacité de l’État à faire respecter les décisions judiciaires ». Et de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’une personnalité poursuivie parvient à s’enfuir, soulignant ainsi une faille structurelle dans la chaîne de commandement et de contrôle.
Le limogeage des chefs de la DIC et du Commissariat de l’aéroport est présenté comme une réponse ferme. En réalité, il s’agit d’une manœuvre diversionniste. Ces deux hommes, aussi compétents ou incompétents soient-ils, ne sont pas responsables à eux seuls de la sortie de Madiambal Diagne. Ils n’étaient pas chargés de sa surveillance 24 heures sur 24, et rien n’indique qu’ils aient reçu un ordre explicite de l’en empêcher physiquement. Leur éviction, à titre conservatoire, relève davantage de la gestion de crise que d’une véritable volonté de réforme.
Le ministère de l’Intérieur, en agitant le spectre d’une enquête interne, cherche à gagner du temps. Mais que vaut une enquête quand les conditions mêmes de la fuite restent floues ? Le communiqué officiel évoque des « circonstances non encore élucidées », une formule creuse qui sonne comme un aveu d’impuissance. Pendant ce temps, un mandat d’arrêt international a été émis, comme si l’État sénégalais pouvait se contenter de courir après les conséquences plutôt que de s’attaquer aux causes.
Premièrement, il est hypocrite de sanctionner des exécutants alors que la responsabilité incombe avant tout aux décideurs politiques. Si des instructions ont été données, pourquoi n’ont-elles pas été suivies d’effets ? Où étaient les contrôles renforcés, les listes de diffusion, les alertes en temps réel ? La réponse est cruelle : dans un pays où les moyens alloués à la sécurité sont souvent détournés ou mal utilisés, les failles sont nombreuses, et les responsables, intouchables.
Deuxièmement, cette affaire s’inscrit dans une longue série de défaillances institutionnelles. Au Sénégal comme ailleurs en Afrique, les personnalités influentes bénéficient trop souvent d’un traitement de faveur. Les comparaisons avec d’autres pays du continent sont édifiantes : en Algérie, des candidats sous contrôle judiciaire ont pu continuer à briguer des mandats électoraux ; au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les institutions judiciaires sont régulièrement contournées, quand elles ne sont pas ouvertement méprisées. Le Sénégal, souvent présenté comme un modèle de stabilité, n’échappe pas à la règle. La corruption et l’impunité rongent les fondements de l’État de droit, et chaque nouvelle affaire en apporte la preuve.
Enfin, comment ne pas voir dans cette précipitation à sanctionner une tentative de détourner l’attention ? Alors que Madiambal Diagne, depuis la France, annonce son retour prochain pour « répondre à la justice », on est en droit de se demander si cette comédie judiciaire ne sert pas avant tout à sauver les apparences. La crédibilité des institutions sécuritaires est en jeu, et avec elle, celle de tout un pays.
L’affaire Madiambal Diagne est révélatrice d’un malaise profond. Plutôt que de reconnaître les lacunes d’un système sécuritaire défaillant, on préfère humilier deux hauts fonctionnaires pour mieux se dédouaner. Mais le peuple sénégalais n’est pas dupe. Il sait que les vrais responsables ne sont pas ceux qui paient aujourd’hui, mais ceux qui, depuis des années, laissent se dégrader les conditions de travail des forces de l’ordre, qui tolèrent les passe-droits, et qui, quand le scandale éclate, sacrifient les petits pour protéger les grands.
La vraie question n’est pas de savoir comment Madiambal Diagne a pu quitter le pays. Elle est de savoir pourquoi, malgré les alertes répétées, rien n’a été fait pour empêcher que de telles situations ne se reproduisent. Tant que l’État sénégalais ne prendra pas ses responsabilités, les fuites continueront, et avec elles, la défiance des citoyens envers leurs institutions. Il faut cesser les effets d’annonce et d’agir enfin avec courage et transparence. Sinon, la prochaine fois, ce ne seront pas deux cadres qui seront limogés, mais la confiance même dans l’État qui sera définitivement perdue.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Amadou Bâ.
Mis en ligne : 30/09/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.





