L’Afrique rate encore une révolution : Nouvelle dépendance à l'IA - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - High-Tech | Par Eva | Publié le 30/09/2025 02:09:15

L’Afrique rate encore une révolution : Nouvelle dépendance à l'IA

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Lors du 9e Symposium sur la gouvernance et la transformation par l’intelligence artificielle (IA) à Incheon, Dr. Aminata Touré, ancienne Première ministre du Sénégal, a peint un tableau optimiste de l’IA comme levier de développement pour l’Afrique. Elle a évoqué un continent jeune, résilient, prêt à saisir les opportunités technologiques pour combler son retard économique et social.

Pourtant, derrière ce discours séduisant se cache une réalité bien plus préoccupante : sans investissements massifs dans les infrastructures et l’éducation, l’IA risque d’aggraver les inégalités et de marginaliser davantage l’Afrique, comme ce fut le cas lors des révolutions industrielles et numériques passées. Si l’histoire se répète, le continent pourrait, une fois de plus, arriver trop tard pour en tirer profit.

L’Afrique, avec sa population jeune et ses ressources naturelles abondantes, est souvent présentée comme le prochain eldorado technologique. Les exemples cités par Dr. Touré, comme Twiga Foods au Kenya, Nomba au Nigeria ou PROMPTS pour la santé maternelle, donnent l’impression d’une transformation déjà en marche. Pourtant, ces initiatives restent isolées, coûteuses et dépendantes de technologies importées. Pire, elles masquent des défis structurels bien plus profonds : manque d’électricité fiable, accès limité à internet, systèmes éducatifs défaillants. Comment prétendre construire une économie basée sur l’IA quand les bases mêmes du développement font défaut ?

En 2025, seulement 43 % de la population subsaharienne a accès à l’électricité, et les coupures sont fréquentes même dans les capitales, comme à Dakar, où le réseau s’effondre plusieurs fois par semaine. Sans une infrastructure solide, l’IA ne sera qu’un mirage pour la majorité des Africains, réservée à une élite urbaine et connectée.

Dr. Touré met en avant un fonds de 60 milliards de dollars et une déclaration panafricaine sur l’IA, portée par 49 pays. Mais ces annonces, aussi ambitieuses soient-elles, ne suffiront pas à combler le fossé technologique. L’IA exige des serveurs locaux, des réseaux haut débit et une main-d’œuvre qualifiée, des ressources que peu de pays africains peuvent se permettre. Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité et sa stratégie numérique, illustre parfaitement ce paradoxe : comment parler de souveraineté numérique quand le pays peine à assurer un approvisionnement électrique stable ?

La comparaison avec la révolution industrielle du XIXᵉ siècle est frappante. À l’époque, l’Europe a imposé ses machines et ses modèles économiques à l’Afrique, créant une dépendance durable. Aujourd’hui, ce sont les algorithmes et les plateformes numériques qui risquent de reproduire ce schéma. Les géants de la tech, comme Google ou Microsoft, contrôlent déjà une grande partie des données africaines. L’Afrique risque de devenir un simple consommateur de technologies conçues ailleurs, sans jamais en maîtriser les leviers.

Les jeunes Africains, souvent présentés comme les principaux bénéficiaires de cette révolution, pourraient en réalité en être les premières victimes. Des applications comme PROMPTS au Kenya, qui répond à des questions de santé maternelle, ou I Vote au Ghana, censée renforcer la transparence électorale, sont testées sur des populations vulnérables sans cadre éthique clair. Les erreurs algorithmiques, dans des systèmes de santé déjà fragiles, pourraient avoir des conséquences dramatiques. Qui sera responsable si une IA médicale commet une erreur de diagnostic dans un hôpital sous-équipé ?

L’IA repose sur des infrastructures que l’Afrique ne possède pas : électricité stable, internet haut débit, centres de données locaux. Sans ces bases, les projets d’IA resteront des coquilles vides, accessibles seulement à une minorité. Au Nigeria, par exemple, les coupures de courant paralysent régulièrement les startups tech, malgré un écosystème dynamique. Comment imaginer une économie basée sur l’IA dans ces conditions ?

Pour former des experts en IA, il faut des universités bien équipées et des programmes adaptés. Or, 1 jeune Africain sur 3 ne termine pas le secondaire (UNESCO). Les initiatives comme uLesson au Ghana ou AI4D en Afrique de l’Ouest sont louables, mais elles ne peuvent remplacer un système éducatif défaillant. Sans une refonte profonde de l’éducation, l’IA ne créera pas d’emplois pour la majorité des jeunes, elle en détruira, en automatisant des tâches aujourd’hui effectuées par une main-d’œuvre peu qualifiée.

Les jeunes Africains pourraient devenir la main-d’œuvre bon marché de l’IA mondiale, comme c’est déjà le cas pour les modérateurs de contenus au Kenya, payés quelques dollars de l’heure pour former des algorithmes utilisés en Occident. Plutôt que de profiter de l’IA, ils en subiront les conséquences sociales et économiques.

L’histoire nous montre que les révolutions technologiques creusent les inégalités quand elles ne sont pas accompagnées de politiques publiques fortes. Au XIXᵉ siècle, l’industrialisation a enrichi l’Europe tout en appauvrissant l’Afrique, transformée en réservoir de matières premières. Aujourd’hui, l’IA pourrait jouer le même rôle : les données africaines alimenteront les algorithmes mondiaux, sans que le continent n’en tire de réels bénéfices.

En Asie, des pays comme la Corée du Sud ou la Chine ont réussi leur transition technologique grâce à des investissements massifs dans l’éducation et les infrastructures. L’Afrique, elle, mise sur des partenariats publics-privés et des fonds internationaux, une approche qui, sans contrôle strict, pourrait renforcer la dépendance plutôt que de l’atténuer.

L’IA offre des opportunités réelles, mais elle ne peut être une solution miracle pour l’Afrique. Sans électricité, sans éducation de qualité et sans souveraineté technologique, elle risque d’aggraver les inégalités et de laisser le continent sur le quai de la révolution numérique.

Plutôt que de courir après des technologies coûteuses et importées, l’Afrique devrait d’abord consolider ses bases : électricité pour tous, accès à internet, systèmes éducatifs solides. Sinon, l’IA ne sera qu’un nouveau chapitre dans une longue histoire de dépendance et d’exclusion. Comme le disait un proverbe africain : « Si tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens. » L’Afrique a déjà raté plusieurs révolutions. Ne laissons pas l’IA en être une de plus.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Thierno T. Fall.
Mis en ligne : 30/09/2025

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