Un rêve sans stratégie : 50 % de médicaments locaux en 2050 - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Santé | Par Eva | Publié le 06/10/2025 07:10:15

Un rêve sans stratégie : 50 % de médicaments locaux en 2050

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Le Sénégal vient de réaffirmer, avec force slogans et plateformes, son ambition de produire 50 % de ses médicaments localement d’ici 2050. Un objectif louable, présenté comme une rupture historique avec la dépendance aux importations, qui représentent aujourd’hui 95 % des produits pharmaceutiques consommés dans le pays. Mais derrière les discours et les annonces médiatiques, la réalité est bien moins reluisante : cette promesse, comme tant d’autres en Afrique, risque de rester lettre morte, faute de moyens concrets, de réalisme et d’urgence. Arrêtons les effets d’annonce et concentrons-nous sur les problèmes actuels.

Le Sénégal dispose effectivement d’atouts : une Agence de réglementation pharmaceutique (ARP) reconnue par l’OMS, un cadre juridique en place, et une poignée d’industries locales qui commencent à produire quelques médicaments. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : malgré des objectifs intermédiaires (20 % de production locale d’ici 2025, 25 % en 2030), le pays est encore très loin du compte. Les experts s’accordent à dire que la souveraineté pharmaceutique ne se décrète pas, elle se construit, et surtout, elle se finance. Or, les défis sont immenses : manque d’unités de recherche performantes, dépendance aux matières premières importées, faible pouvoir d’achat des populations, et concurrence déloyale des médicaments étrangers, souvent moins chers et mieux distribués.

La création de l’ARP et la mise en place de plateformes comme celle de Tivaouane sont des étapes nécessaires, mais insuffisantes. Le Sénégal n’est pas un cas isolé : en Afrique, les échecs des politiques industrielles sont légion. Les plans ambitieux, portés par des horizons lointains (2035, 2050), servent trop souvent d’alibi pour masquer l’absence de résultats immédiats. Comme le souligne un expert, « on ne peut pas juste être souverain parce que nous produisons le produit A ou B en sachant que tout ce qu’il faut pour les produire, vous l’importez ». La souveraineté, c’est d’abord la maîtrise de toute la chaîne de valeur, de la recherche à la distribution, en passant par la formation des compétences locales.

Le Maroc et l’Afrique du Sud, souvent cités en exemple, couvrent aujourd’hui 70 à 80 % de leurs besoins pharmaceutiques. Leur succès repose sur des décennies d’investissements ciblés, de partenariats publics-privés solides, et une volonté politique constante. Au Sénégal, en revanche, les initiatives restent fragmentées, les industries locales peinent à décoller, et les pénuries de médicaments essentiels sont récurrentes. Pire, des usines comme celle de Teranga Pharma, pourtant prometteuses, ont déjà connu des arrêts de production.

Fixer un objectif à 25 ans, c’est se donner une marge de manœuvre confortable pour reporter indéfiniment les échecs. Pourtant, les besoins sont immédiats : la population sénégalaise a droit à des médicaments accessibles, de qualité, et disponibles sans rupture de stock. Plutôt que de brandir des chiffres pour 2050, l’État ferait mieux de se concentrer sur des actions concrètes : renforcer les unités de recherche, sécuriser les approvisionnements en matières premières, lutter contre la contrefaçon et le marché parallèle, et surtout, investir massivement dans la formation et l’innovation. La souveraineté pharmaceutique ne se construira pas par décret, mais par des actes.

La souveraineté pharmaceutique est un chantier de longue haleine, mais elle ne peut se contenter de beaux discours et de calendriers lointains. Le Sénégal a les moyens de progresser, à condition de cesser de se bercer d’illusions et de s’attaquer aux vrais problèmes : la qualité des médicaments locaux, la compétitivité des industries, et l’accès équitable aux soins pour tous. En 2050, il sera trop tard pour ceux qui ont besoin de médicaments aujourd’hui. Agissons maintenant, ou assumons notre responsabilité dans le maintien d’une dépendance qui coûte cher, en vies et en dignité.

Une comparaison avec d’autres secteurs industriels africains (textile, agroalimentaire) montrerait que les échecs répétés sont souvent liés à un manque de suivi, de financement, et de coordination entre les acteurs. Le Sénégal a le choix : continuer à rêver pour 2050, ou se retrousser les manches dès aujourd’hui. La balle est dans le camp des autorités.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Aboubacar Keita.
Mis en ligne : 06/10/2025

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