L’ordre public efface nos traditions : Cérémonies familiales sous contrôle - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Société | Par Eva | Publié le 10/10/2025 09:10:15

L’ordre public efface nos traditions : Cérémonies familiales sous contrôle

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Le gouverneur de Dakar vient de publier un communiqué interdisant les cérémonies familiales non déclarées sur la voie publique, au nom de la sécurité et de la tranquillité. Si l’objectif affiché est louable, cette décision, dans sa forme actuelle, représente une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles et collectives, ainsi qu’une méconnaissance des réalités sociales et culturelles de la capitale. En criminalisant des moments de partage et de célébration, les autorités risquent de briser le ciment même de la vie communautaire sénégalaise : la convivialité et la solidarité.

Au Sénégal, les cérémonies familiales, baptêmes, mariages, funérailles, ne sont pas de simples événements privés. Elles constituent des piliers de la vie sociale, des occasions de renforcer les liens entre voisins, familles élargies et amis.

Ces rassemblements, souvent organisés dans la rue par manque d’espaces adaptés, sont bien plus que des fêtes : ils perpétuent des traditions ancestrales, transmettent des valeurs, et offrent un exutoire collectif dans un environnement urbain souvent difficile. Les interdire au nom de l’ordre public, c’est méconnaître leur rôle essentiel dans la cohésion sociale.

Pourtant, plutôt que de proposer des solutions adaptées, comme la création d’espaces publics dédiés ou un accompagnement des familles dans leurs démarches, les autorités ont choisi la voie de la répression. Une approche qui, loin de résoudre les problèmes, risque d’aggraver les tensions et de marginaliser les populations les plus modestes.

Exiger une déclaration trois jours à l’avance pour des événements souvent organisés dans l’urgence (un mariage décidé en famille, un baptême improvisé) relève de l’utopie administrative. Cette mesure pénalise avant tout les familles défavorisées, moins habituées aux démarches complexes et moins capables de payer les frais éventuels liés à une autorisation. Dans une ville où l’accès aux salles des fêtes reste un luxe pour beaucoup, la rue est souvent le seul espace disponible pour célébrer dignement.

Par ailleurs, comment justifier une telle rigueur pour les cérémonies familiales, alors que d’autres occupations de l’espace public, marchés informels, meetings politiques, ou même certaines activités commerciales, bénéficient d’une tolérance bien plus grande ? Ce double standard interroge : pourquoi cibler spécifiquement des moments de joie collective, alors que d’autres perturbations (bruit des chantiers, embouteillages chroniques) sont laissées sans réponse ?

La sonorisation, elle aussi soumise à autorisation, pose question. Les haut-parleurs sont certes parfois bruyants, mais ils font partie intégrante de l’ambiance dakaroise, au même titre que les appels à la prière ou les animations des rues commerçantes. Les sanctionner sans proposer d’alternative, c’est priver les quartiers de leur âme, sans garantir pour autant plus de tranquillité.

En voulant réguler à tout prix, les autorités oublient une évidence : le bon sens citoyen existe. La plupart des familles veillent déjà à limiter les nuisances, en choisissant des horaires raisonnables ou en informant leurs voisins. Plutôt que de les traiter comme des délinquants, ne vaudrait-il pas mieux les associer à la recherche de solutions ? Dans d’autres villes africaines, comme Ouagadougou ou Bamako, les fêtes de rue sont encadrées sans être interdites, grâce à des dialogues entre communautés et autorités locales.

À Dakar, en revanche, on préfère la répression à la concertation. Résultat : des familles risquent de se voir interdire des moments précieux, sous peine d’amendes ou de poursuites judiciaires. Une approche qui, loin d’apaiser les tensions, pourrait au contraire exacerber les frustrations, surtout dans des quartiers où la confiance envers les institutions est déjà fragile.

Cette décision s’inscrit dans une tendance plus large à sécuriser l’espace public au détriment de sa vitalité. Pourtant, une ville vivante accepte une certaine dose de désordre organisé. Les fêtes de rue, avec leurs excès parfois, font partie de l’identité de Dakar. Les supprimer, c’est appauvrir la vie collective et risquer de transformer la capitale en une ville aseptisée, où la joie devra demander la permission pour s’exprimer.

Plutôt que d’interdire, les autorités pourraient créer des espaces festifs temporaires, en partenariat avec les communes et les associations de quartier. Elles pourraient également simplifier les démarches pour les familles, avec des guichets dédiés et un accompagnement sur le terrain, et sensibiliser plutôt que sanctionner, en travaillant avec les chefs de quartier pour trouver des compromis (horaires, niveaux sonores).

Le gouverneur invoque le « sens civique » des Dakarois. Mais le civisme ne se décrète pas, il se construit. En criminalisant des pratiques sociales ancrées, on ne fait que creuser le fossé entre les citoyens et leurs dirigeants.

Cette mesure, présentée comme une avancée pour l’ordre public, est en réalité une régression pour la vie sociale. Elle ignore les réalités culturelles, pénalise les plus vulnérables, et risque d’aggraver les inégalités d’accès à l’espace public. Nous ne contestons pas la nécessité de réguler les excès. Mais une régulation juste doit écouter avant d’interdire, proposer avant de sanctionner. Les cérémonies familiales ne sont pas un problème à éradiquer, mais une richesse à préserver, avec intelligence et respect.

Il faut revenir sur cette décision. À défaut, Dakar perdra bien plus qu’un peu de bruit : une partie de son âme.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mouhamed S.
Mis en ligne : 10/10/2025

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