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Ce lundi, le bureau de l’Assemblée nationale du Sénégal a rejeté la résolution de mise en accusation de l’ancien président Macky Sall devant la Haute Cour de justice, déposée par le député Guy Marius Sagna. Officiellement, ce rejet est motivé par un vice de forme : la procédure n’aurait pas respecté les critères adéquats. Pourtant, cette décision soulève une question plus profonde : les anciens présidents sénégalais sont-ils intouchables, quel que soit leur bilan ? L’absence de débat sur le fond, malgré les accusations graves portées contre Macky Sall, renforce l’idée d’une impunité institutionnalisée.
Macky Sall a quitté le pouvoir en 2024 après douze ans à la tête du Sénégal, laissant derrière lui un héritage marqué par des crises politiques, une gestion contestée des finances publiques, et une répression violente des manifestations. Selon des enquêtes journalistiques et des rapports d’ONG comme Amnesty International, les violences policières sous son mandat ont coûté la vie à des dizaines de jeunes, notamment lors des manifestations de mars 2021 et juin 2023, ainsi qu’après la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko en 2023. Plus récemment, la Cour des comptes a révélé une « dette cachée » de près de 7 milliards de dollars, accumulée entre 2019 et 2024, soulevant des questions sur la transparence et la rigueur de sa gouvernance économique. Malgré ces éléments, aucune instance n’a encore permis un examen approfondi de ces responsabilités.
La résolution de Guy Marius Sagna, qui invoquait des faits de « haute trahison » et une gestion opaque des finances, visait précisément à engager cette responsabilité. Pourtant, le rejet pour vice de forme sans examen du fond laisse planer le doute sur la volonté réelle des institutions de rendre des comptes.
Le rejet de la résolution s’inscrit dans un schéma récurrent en Afrique, où les anciens chefs d’État bénéficient souvent d’une immunité de fait, malgré des bilans parfois désastreux. Au Sénégal, comme ailleurs sur le continent, les mécanismes de responsabilité politique sont rarement activés. Pourtant, des exemples existent : Hissène Habré (Tchad), Charles Taylor (Libéria), ou plus récemment Jacob Zuma (Afrique du Sud) ont été traduits en justice pour des actes commis durant leur mandat. Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, semble ici confirmer la règle plutôt que d’y faire exception.
La Haute Cour de justice, chargée de juger les anciens présidents, est elle-même sujette à des critiques récurrentes : manque d’indépendance, procédures opaques, et suspicion de politisation. Dans ce contexte, le rejet de la résolution de Guy Marius Sagna apparaît moins comme une question de forme que comme un symptôme d’un système qui protège ses élites. Le député a d’ailleurs annoncé son intention de redéposer le texte, mais l’issue reste incertaine.
Les accusations portées contre Macky Sall gestion opaque des finances, répression sanglante, tentative de report de l’élection présidentielle méritent un débat public. Le fait que l’Assemblée nationale évite soigneusement d’aborder le fond envoie un message clair : les anciens présidents ne sont pas tenus de répondre de leurs actes devant les citoyens.
Lorsque même un député ne peut obtenir un examen sérieux de ses accusations, que reste-t-il comme recours pour les citoyens ? L’absence de transparence et de responsabilité alimente la défiance envers les institutions, déjà fragilisées par des années de crises politiques.
Face à l’incapacité ou à la réticence des institutions existantes, la création d’une commission indépendante, composée de magistrats, d’experts et de représentants de la société civile, pourrait être une solution pour enquêter sur les actes des anciens présidents. Cela permettrait de restaurer un minimum de crédibilité et de justice, tout en évitant que ces dossiers ne soient instrumentalisés à des fins politiques.
En Afrique, plusieurs anciens présidents ont été jugés pour des actes commis durant leur mandat. Le procès d’Hissène Habré au Sénégal en 2015, ou les poursuites contre Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie, montrent que la justice peut, parfois, l’emporter sur l’impunité. Pourtant, ces cas restent l’exception. La plupart du temps, les anciens dirigeants bénéficient de protections constitutionnelles ou politiques, et les procédures judiciaires sont bloquées par des arguments techniques ou des pressions politiques.
Le Sénégal, qui a longtemps été perçu comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, risque aujourd’hui de perdre ce statut si ses institutions continuent de protéger les puissants au détriment de la vérité et de la justice.
Le rejet de la résolution contre Macky Sall est un symbole de l’impunité qui règne encore pour les anciens chefs d’État africains. Pourtant, la démocratie ne peut se construire sans responsabilité. Il faut que le Sénégal montre l’exemple en réformant ses institutions judiciaires, en garantissant leur indépendance, et en permettant un vrai débat sur le bilan de ses dirigeants.
La question n’est pas seulement de savoir si Macky Sall est coupable ou non. Elle est de savoir si le Sénégal est prêt à tourner la page de l’impunité, pour le bien de sa démocratie et de ses citoyens. Une commission indépendante pourrait être un premier pas. Mais pour cela, il faut une volonté politique que les événements récents ne laissent pas entrevoir.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pape Seck.
Mis en ligne : 09/11/2025
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