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L’histoire d’Aïcha Rassoul Gning, cette entrepreneure thiessoise qui a osé croire en sa ville natale et y installer son commerce, est malheureusement devenue le symbole d’un gâchis annoncé. Son cri de détresse, relayé récemment, résume à lui seul l’échec cuisant de nombreux jeunes qui, animés par un patriotisme local louable, se lancent tête baissée dans l’aventure entrepreneuriale à Thiès, sans mesurer l’ampleur des obstacles qui les attendent. Pourtant, la leçon est simple : on ne construit pas un business sur des rêves, mais sur une étude de marché rigoureuse et une lucidité à toute épreuve. À Thiès, cette lucidité fait cruellement défaut, et les conséquences sont désastreuses.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Dakar concentre 46 % de la richesse nationale, tandis que Thiès, deuxième région économique du pays, n’en capte que 10,6 %. Pire, les dépenses de consommation finale par habitant y sont presque deux fois moins élevées qu’à Dakar (648 070 FCFA contre 1 139 354 FCFA). Autrement dit, le pouvoir d’achat des Thiessois est bien réel, mais il est faible, très faible. Dans une ville où la majorité des habitants peinent à joindre les deux bouts, où le panier de la ménagère se vide un peu plus chaque mois, où les secteurs informels dominent et où les salaires sont souvent irréguliers, ouvrir une boutique de produits ou services « haut de gamme » relève de l’inconséquence pure et simple. Les Thiessois, comme la plupart des Sénégalais, dépensent d’abord pour survivre, pas pour consommer local par militantisme.
Pourtant, des entrepreneurs comme Aïcha Rassoul Gning persistent à croire que leur attachement à Thiès suffira à faire vivre leur commerce. Ils ignorent superbement une vérité économique élémentaire : le marché ne se soucie pas de vos sentiments. Il obéit à des lois impitoyables, et la première d’entre elles est que les clients achètent ce qu’ils peuvent se payer, pas ce qu’on aimerait leur vendre.
Le texte évoque à juste titre le manque d’accès au financement, la bureaucratie étouffante des dispositifs publics, et l’absence d’encadrement technique. Mais le vrai problème, c’est que même avec un accompagnement parfait, beaucoup de ces projets n’auraient aucune chance de prospérer. Pourquoi ? Parce qu’ils sont mal adaptés à la réalité socio-économique de Thiès. Les incubateurs, les foires, les salons, les discours sur la consommation locale ne changeront rien à un fait têtu : si les Thiessois n’ont pas les moyens d’acheter, ils n’achèteront pas. Point.
Comparons avec d’autres villes sénégalaises : à Dakar, malgré la saturation du marché, la concentration des revenus permet encore à certains commerces de tenir. À Saint-Louis ou Ziguinchor, les entrepreneurs locaux misent sur le tourisme ou des niches spécifiques. Mais à Thiès, ni l’un ni l’autre. La ville, bien que dynamique culturellement, reste avant tout un carrefour industriel et agricole, où la majorité de la population vit avec des revenus modestes et irréguliers. Dans ce contexte, vouloir vendre des produits ou services destinés à une classe moyenne aisée, c’est comme essayer de vendre des glaces en plein désert : l’offre ne rencontre tout simplement pas la demande.
Le cas d’Aïcha Rassoul Gning est édifiant. Son erreur n’est pas d’avoir voulu entreprendre à Thiès, mais d’y avoir ouvert un commerce sans avoir au préalable analysé le pouvoir d’achat réel de sa clientèle potentielle. On ne lance pas une boutique de prêt-à-porter tendance ou un salon de beauté haut de gamme dans une ville où la priorité des ménages est de payer le loyer, l’électricité et la nourriture. Pourtant, combien de jeunes entrepreneurs thiessois répètent la même erreur, séduits par l’idée romantique de « développer leur ville », sans se demander si leur offre correspond à la capacité financière des habitants ?
La réponse est cruelle : très peu de Thiessois peuvent se permettre des dépenses superflues. Les rares qui le peuvent préfèrent souvent se tourner vers Dakar, où l’offre est plus variée et les prix parfois plus compétitifs, grâce aux économies d’échelle. Résultat : les boutiques locales ferment les unes après les autres, faute de clients solvables.
On nous rebat les oreilles avec l’importance de consommer local. Mais la consommation locale ne se décrète pas, elle se construit sur une offre adaptée et accessible. À Thiès, les entrepreneurs qui réussissent sont ceux qui proposent des produits et services essentiels, à des prix abordables, et qui savent toucher une clientèle large. Ceux qui misent sur le luxe ou le « premium » sont condamnés à l’échec, sauf à visiter une clientèle dakaroise de passage ce qui revient à admettre que le marché local est insuffisant.
Pire, la mentalité collective joue contre les entrepreneurs thiessois. Dans une société où l’on valorise encore trop ce qui vient de l’extérieur, où le « made in Dakar » ou « made in Europe » a plus de prestige que le « made in Thiès », convaincre les consommateurs locaux de dépenser leur argent chez eux relève du parcours du combattant. Sans une politique publique volontariste pour inverser cette tendance et pas seulement des discours rien ne changera.
Plutôt que de pleurer sur le sort des entrepreneurs déçus, il est temps de leur dire la vérité : Thiès n’est pas Dakar, et ne le sera pas de sitôt. Avant de se lancer, il faut étudier le marché, adapter son offre, et surtout, accepter que certaines activités ne sont tout simplement pas viables dans cette ville. Cela signifie parfois renoncer à ses rêves, ou les ajuster à la réalité.
Les pouvoirs publics, de leur côté, doivent cesser de vendre du rêve. Les incubateurs et les formations en gestion, c’est bien, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi aider les entrepreneurs à réaliser des études de marché sérieuses, à identifier les vraies opportunités (l’agroalimentaire, l’artisanat accessible, les services de proximité), et à éviter les pièges du mimétisme dakarois.
Le cri de cœur d’Aïcha Rassoul Gning doit servir de leçon. Thiès a un potentiel, mais il ne se réalisera pas par la magie de l’optimisme ou la force des sentiments. Il se construira en partant des réalités économiques, en formant des entrepreneurs réalistes, et en soutenant des projets qui répondent aux besoins réels de la population.
Aux jeunes qui rêvent d’entreprendre à Thiès, un conseil : avant de signer un bail ou d’investir vos économies, posez-vous la question fondamentale : « Qui va acheter ce que je vends, et à quel prix ? » Si la réponse n’est pas claire, évitez de vous lancer. Car en matière de business, l’idéalisme ne paie pas les factures. Seule la lucidité permet de survivre.
Et vous, que pensez-vous de cette situation ? Faut-il encourager les jeunes à entreprendre coûte que coûte, ou mieux vaudrait-il les inciter à quitter Thiès pour des horizons plus porteurs ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mamadou Mbaye.
Mis en ligne : 27/11/2025
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