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Le 31 mars 2020, Pape Diouf, figure emblématique du football sénégalais et ancien président de l’Olympique de Marseille, décédait des suites du Covid-19 à l’hôpital Fann de Dakar. Cinq ans après, le livre de Mamadou Seck, « Face cachée de la lutte contre la Covid-19 au Sénégal : science contre politique », révèle les conditions indignes dans lesquelles il a été soigné : des locaux du Service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT) « en état de délabrement avancé », une salle de réanimation improvisée, et le désespoir d’un homme qui, malgré son statut, n’a pu bénéficier de soins dignes. Ces révélations ne sont pas seulement le récit d’un drame individuel, mais le symbole d’un système de santé sénégalais à bout de souffle, malgré les promesses répétées de modernisation. Comment un pays peut-il prétendre lutter contre une pandémie quand ses hôpitaux ressemblent à des ruines ? Pourquoi les dirigeants sénégalais ont-ils attendu une crise pour constater l’urgence de rénover les services de santé ?
Dès le début de la pandémie, le Sénégal a été salué pour sa réactivité, notamment grâce à son Centre des opérations d’urgence sanitaire, modèle en Afrique de l’Ouest. Pourtant, derrière cette façade, la réalité des infrastructures hospitalières est accablante. En 2020, le pays comptait seulement 25 hôpitaux publics, dont deux non fonctionnels, et une couverture en lits de réanimation dérisoire : moins de 15 respirateurs conformes aux normes pour tout le territoire. Les audits menés par l’OMS et le gouvernement sénégalais ont révélé des « déficiences majeures » en matière d’hygiène, de nettoyage des infrastructures, et de respect des protocoles sanitaires. Pire, les nouvelles régions comme Kédougou, Sédhiou ou Kaffrine ne disposaient même pas d’hôpitaux régionaux.
Les promesses d’investissement n’ont pas manqué : en 2020, le président Macky Sall annonçait un plan de 894 millions de dollars pour moderniser les infrastructures hospitalières d’ici 2024. Un plan national prévoyait même 574 milliards de francs CFA pour les infrastructures sanitaires entre 2020 et 2024. Pourtant, en 2025, force est de constater que ces engagements n’ont pas suffi à combler les lacunes structurelles. Les postes de santé, bien que conformes aux normes de l’OMS en termes de couverture (un poste pour 9 953 habitants), masquent une vérité plus sombre : l’absence criante d’hôpitaux fonctionnels et équipés, surtout en dehors de Dakar.
Le cas de Pape Diouf est édifiant. Admis dans des locaux « en état de délabrement avancé », il a dû être transféré en urgence dans une salle de réanimation de fortune. Son désir de quitter l’hôpital, rapporté par Mamadou Seck, illustre l’angoisse des patients confrontés à des conditions indignes. Le Pr Moussa Seydi, chef du SMIT, a beau assurer qu’une évacuation sanitaire n’aurait « pas changé son sort », cette réponse soulève une question plus large : pourquoi un pays qui se targue de sa résilience sanitaire n’a-t-il pas su offrir à l’un de ses citoyens les plus en vue des soins à la hauteur de sa réputation ?
La pandémie a révélé une improvisation généralisée. Face à l’afflux de patients, le Sénégal a dû créer 35 centres de traitement en urgence, dont 26 hospitaliers. Une réaction louable, mais qui cache une vérité gênante : ces mesures d’urgence n’ont fait que pallier, temporairement, des années de négligence. Les étudiants en médecine et les retraités ont été mobilisés pour soutenir un système hospitalier exsangue, tandis que les régions les plus reculées restaient démunies. « Le défi principal était de ne pas transformer nos hôpitaux en ‘hôpitaux COVID’ », reconnaissait un rapport officiel. Autrement dit, le système était si fragile qu’il fallait à tout prix éviter qu’il ne s’effondre.
Malgré les annonces tonitruantes, les réalisations concrètes peinent à suivre. En 2021, un rapport du ministère de la Santé soulignait que « les besoins en constructions, équipements et ressources humaines » identifiés par la carte sanitaire n’avaient toujours pas été comblés. Les 894 millions de dollars promis en 2020 n’ont pas empêché des hôpitaux comme ceux de Ziguinchor ou Fatick de rester non fonctionnels. Pire, les nouveaux hôpitaux régionaux, comme celui de Touba (40 milliards de francs CFA), restent des exceptions, tandis que la majorité des structures peinent à offrir des soins de base.
Si Pape Diouf, personnalité publique, a subi de telles conditions, que dire des citoyens ordinaires ? Les témoignages recueillis par Mamadou Seck confirment que le manque de confort et la précarité des installations étaient monnaie courante. « Comment un pays peut-il prétendre protéger ses citoyens quand ses hôpitaux manquent du strict minimum ? », s’interroge un soignant sous couvert d’anonymat.
Le Sénégal a beau se classer parmi les pays africains les mieux préparés, cette préparation ne s’est pas traduite par une amélioration durable des infrastructures. Les audits de l’OMS ont montré que 42,5 % des pays africains n’avaient pas de programme de prévention des infections fonctionnel un constat qui s’applique aussi au Sénégal, où les mesures d’hygiène de base (lavage des mains, nettoyage des locaux) étaient souvent ignorées.
À l’inverse, des pays comme la France ont débloqué 19 milliards d’euros pour moderniser leurs hôpitaux après la crise, tandis que le Maroc a investi 16 milliards de dirhams dans la rénovation de ses structures. Au Sénégal, les promesses restent souvent lettre morte : en 2025, le budget du ministère de la Santé, bien qu’en hausse, peine à rattraper des décennies de retard.
Cinq ans après la mort de Pape Diouf, les révélations sur les conditions de sa prise en charge doivent servir de déclic. Le Sénégal ne peut plus se contenter de plans ambitieux sur le papier ou de centres d’urgence éphémères. Il est temps de passer des discours aux actes : rénover les hôpitaux existants, équiper les régions délaissées, et former suffisamment de personnel soignant. « Pourquoi les dirigeants sénégalais ont-ils attendu une crise pour agir ? » La réponse à cette question déterminera si le pays saura enfin offrir à ses citoyens un système de santé digne de ce nom.
L’histoire de Pape Diouf n’est pas seulement celle d’une victime du Covid-19. C’est le symbole d’un État qui, malgré ses atouts, a trop longtemps abandonné ses citoyens à des infrastructures indignes. Il est encore temps de rectifier le tir à condition que les promesses se transforment enfin en réalisations.
Face à ces constats, quelles mesures concrètes pourraient enfin garantir à tous les Sénégalais un accès à des soins dignes, sans attendre la prochaine crise ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Papis Diaw.
Mis en ligne : 29/12/2025
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