Le Sénégal vient d’annoncer avec satisfaction avoir levé 364 milliards de francs CFA sur le marché financier, dans le cadre de son deuxième appel public à l’épargne pour l’année 2025. Un montant supérieur à l’objectif initial de 300 milliards, salué par le ministère des Finances comme un signe de confiance renouvelée des épargnants et une preuve de la solidité économique du pays. Pourtant, derrière cette annonce triomphale se cache une réalité préoccupante : la dépendance croissante de notre pays aux marchés financiers pour couvrir ses besoins budgétaires.
Depuis plusieurs années, le Sénégal accumule les déficits budgétaires, accentués par les dépenses liées à la gestion de la pandémie, aux subventions énergétiques, et aux grands projets d’infrastructure.
Face à l’insuffisance des recettes fiscales et à une croissance économique encore fragile, l’État se tourne de plus en plus vers l’endettement intérieur et extérieur pour combler ses besoins. Cette deuxième levée de fonds en moins de sept mois illustre clairement l’urgence à laquelle il fait face.
Certes, le recours au marché financier peut paraître légitime, voire stratégique, lorsqu’il s’agit de financer des projets structurants. Mais une répétition de ces appels à l’épargne dans un laps de temps aussi court révèle une dépendance inquiétante. La dette publique du Sénégal dépasse désormais les 75 % du PIB, un seuil critique selon les standards de surveillance économique. Le danger réside dans le fait que ces emprunts, s’ils ne sont pas rigoureusement investis dans des projets productifs, génèrent des charges d’intérêts élevées qui grèvent les budgets futurs.
Le ministère des Finances interprète l’engouement des investisseurs comme un gage de confiance. Pourtant, cette lecture peut être biaisée. Dans un contexte où les taux d’intérêt sur le marché financier local restent attractifs, les investisseurs sont avant tout motivés par le rendement. Cela ne reflète pas nécessairement une adhésion à la vision économique du gouvernement, mais plutôt une opportunité de placement pour les établissements financiers et les épargnants à court terme.
À l’image de plusieurs pays africains, le Sénégal semble s’enfermer dans un cycle de financement qui privilégie l’endettement à la mobilisation des ressources internes. Cette orientation expose dangereusement notre économie à tout retournement de conjoncture : hausse des taux d’intérêt, assèchement de la liquidité bancaire, ou réticence des investisseurs en cas d’instabilité politique ou économique. Dans ce contexte, une crise de confiance pourrait avoir des conséquences désastreuses sur notre capacité à refinancer notre dette et sur la stabilité macroéconomique du pays.
Le Sénégal n’est pas un cas isolé. Des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana ont également multiplié les émissions obligataires, avec parfois des conséquences dramatiques, comme la crise de la dette ghanéenne ayant mené à un défaut partiel de paiement. Ces exemples doivent nous alerter : l’endettement à outrance, même sur les marchés domestiques, n’est pas une voie durable.
Il faut sortir de cette logique de fuite en avant. Le Sénégal doit impérativement engager une réforme fiscale ambitieuse, améliorer la gestion des dépenses publiques et investir dans des secteurs générateurs de recettes durables. Cela passe par une meilleure transparence budgétaire, la lutte contre l’évasion fiscale, et une politique économique moins soumise aux impératifs des marchés financiers.
Plutôt que de nous réjouir de cette levée de fonds record, posons-nous les bonnes questions : combien de temps cette dépendance sera-t-elle tenable ? Que se passera-t-il lorsque le robinet des marchés se fermera ? Le véritable succès résidera non pas dans notre capacité à emprunter, mais dans celle à construire un État économiquement souverain, financé par ses propres ressources.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mamadou Ciss.
Mis en ligne : 21/07/2025
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