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Samedi dernier, une scène édifiante s’est jouée à l’Arène nationale de Dakar : Gris Bordeaux, président de l’Association nationale des lutteurs du Sénégal, a été expulsé manu militari d’une réunion consacrée à l’adoption des textes de la future Fédération sénégalaise de lutte (FSL). Son crime ? Avoir osé critiquer la précipitation et l’autoritarisme des autorités, qui veulent imposer une réforme sans écouter les premiers concernés.
Cet incident n’est pas anecdotique : il révèle une culture du mépris du dialogue et une gouvernance sportive à sens unique, où les acteurs de terrain sont réduits au silence. Pire, les textes proposés sont qualifiés de « caducs » par les lutteurs eux-mêmes, et la transition vers une fédération est perçue comme un passage en force. Une telle méthode ne peut que mener à l’échec et à la division.
Depuis des mois, le ministère des Sports, dirigé par Khady Diène Gaye, pousse à la création d’une Fédération sénégalaise de lutte, censée remplacer le Comité national de gestion (CNG). L’objectif affiché est louable : moderniser la gouvernance, professionnaliser le secteur, et aligner le Sénégal sur les standards internationaux. Pourtant, la méthode employée soulève de vives critiques. Gris Bordeaux, porte-parole légitime des lutteurs, dénonce une « transition à marche forcée » et un projet mal préparé, où les textes réglementaires sont imposés sans consultation réelle. « La lutte n’est pas prête pour aller à une fédération », a-t-il clamé, avant d’être expulsé pour avoir refusé de se taire.
Cette résistance n’est pas isolée. D’autres voix, comme celle de l’Association des lutteurs de la catégorie simple, soutiennent le projet, mais la fracture est profonde. Le CNG lui-même, dirigé par Malick Ngom, semble pris entre le marteau des autorités et l’enclume des lutteurs. La ministre des Sports justifie la réforme par la nécessité de « renforcer la gouvernance démocratique de la lutte », mais comment parler de démocratie quand on expulse ceux qui expriment un avis divergent ?
L’échange houleux entre Gris Bordeaux et Gilbert Mbengue, directeur des Activités physiques et sportives, est révélateur. Alors que le lutteur tentait d’alerter sur les risques du projet, Mbengue lui a rétorqué : « Tu n’as pas le droit de m’interrompre quand je parle. » Une phrase qui résume à elle seule l’état d’esprit des autorités : le dialogue n’est pas une option, la concertation est une illusion. Pourtant, dans un secteur aussi complexe et aussi vital pour la culture sénégalaise que la lutte, toute réforme devrait naître d’un consensus, pas d’un diktat.
Les textes proposés sont jugés obsolètes, et les lutteurs craignent pour leur avenir économique. Gris Bordeaux a répété à plusieurs reprises que la FSL risquait de « toucher à l’économie de la lutte » et de marginaliser les athlètes. Ces craintes ne sont pas infondées : dans d’autres pays africains, des réformes sportives imposées sans concertation ont souvent conduit à des échecs, à des divisions, et parfois à la disparition pure et simple de structures locales. Au Maroc, en Algérie, ou en Côte d’Ivoire, les fédérations qui ont réussi sont celles qui ont associé tous les acteurs dès le départ. Au Sénégal, en revanche, on préfère l’affrontement à la négociation.
Les lutteurs, les promoteurs, les entraîneurs, ceux qui font vivre la lutte au quotidien, n’ont pas été associés à l’élaboration des textes. Pourtant, ce sont eux qui subiront les conséquences d’une mauvaise réforme. Ignorer leur expertise, c’est prendre le risque de créer une fédération fantoche, déconnectée des réalités du terrain.
Gris Bordeaux et d’autres acteurs dénoncent des documents « caducs », c’est-à-dire dépassés, mal adaptés aux enjeux actuels. Comment construire un avenir sur des bases aussi fragiles ?
L’expulsion de Gris Bordeaux a jeté de l’huile sur le feu. Désormais, une partie du monde de la lutte voit dans la FSL un outil de contrôle politique, pas une avancée sportive. Cette méfiance pourrait conduire à un boycott de la nouvelle instance, voire à une scission durable dans le milieu.
Cette méthode rappelle d’autres réformes imposées au Sénégal, dans le sport comme dans d’autres secteurs, où l’État a préféré le passage en force à la concertation. Les résultats sont souvent les mêmes : rejet, blocage, et échec.
En France, par exemple, toute réforme sportive majeure est précédée d’une large consultation et d’une étude d’impact. Même chose en Côte d’Ivoire, où les clubs et les athlètes sont systématiquement associés aux décisions. Au Sénégal, en revanche, on semble croire que la modernisation peut se faire sans les modernisateurs. C’est une erreur grave.
Il est encore temps d’éviter le pire. Les autorités doivent suspendre immédiatement le processus d’adoption des textes et organiser une véritable concertation avec tous les acteurs : lutteurs, promoteurs, entraîneurs, et associations. Elles doivent réviser les textes en intégrant les remarques de terrain, pour garantir leur pertinence et leur acceptabilité, et garantir la transparence : publier les projets de réforme, organiser des débats publics, et permettre à chacun de s’exprimer sans crainte de représailles.
La lutte sénégalaise mérite mieux qu’une réforme bâclée et imposée. Elle mérite une gouvernance moderne, certes, mais aussi démocratique et inclusive. Sinon, la FSL ne sera qu’une coquille vide, rejetée par ceux-là mêmes qu’elle prétend servir.
L’incident entre Gris Bordeaux et Gilbert Mbengue n’est pas un simple clash personnel. C’est le symptôme d’un mal plus profond : l’habitude qu’ont les autorités sénégalaises de décider pour les autres, sans les autres. La lutte est un sport populaire, une fierté nationale, un pilier de la culture sénégalaise. Elle ne peut pas être réformée dans le mépris et l’exclusion. Si les autorités persistent dans cette voie, elles ne feront pas naître une fédération, mais une nouvelle source de conflits. Il est temps de changer de méthode : la concertation n’est pas une option, c’est une nécessité. Sans elle, la FSL sera encore une occasion manquée et la lutte sénégalaise en paiera le prix fort.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Oumou Kalsoum.
Mis en ligne : 06/09/2025
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