Le stade transformé en champ de bataille : Fair-play oublié à Kinshasa - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Sport | Par Eva | Publié le 12/09/2025 08:09:30

Le stade transformé en champ de bataille : Fair-play oublié à Kinshasa

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Mardi soir, au Stade des Martyrs de Kinshasa, le football congolais a basculé dans une triste démonstration de violence. La défaite des Léopards face aux Lions du Sénégal (3-2) a déclenché une vague de chaos sans précédent. Les images diffusées montrent des sièges arrachés, des infrastructures saccagées et une enceinte sportive transformée en véritable champ de bataille.

Relayées massivement sur les réseaux sociaux, ces scènes ont profondément choqué, bien au-delà des frontières de la République démocratique du Congo. Certes, la déception des supporters est compréhensible : le sport suscite des émotions intenses, et la passion pour les Léopards est immense. Mais la réaction observée n’a rien de justifiable.

Ces débordements ne sont pas seulement une tâche sur l’image du football congolais ; ils révèlent aussi un malaise culturel plus profond : la difficulté à gérer les émotions collectives et le mépris affiché pour les valeurs essentielles du sport, à savoir le fair-play, le respect et la dignité. Une défaite, aussi douloureuse soit-elle, ne saurait jamais légitimer de tels excès.

Le football en RDC, comme dans de nombreux pays africains, dépasse largement le cadre du divertissement. Il est vécu comme un ciment national, un exutoire, et même parfois comme une revanche sur les difficultés quotidiennes. Le Stade des Martyrs, véritable temple du ballon rond, incarne cette ferveur populaire. Mais depuis plusieurs années, ce lieu symbolique est aussi devenu un théâtre récurrent de violences. En 2021, après l’élimination des Léopards en Coupe d’Afrique des Nations, des émeutes avaient déjà éclaté. En 2023, des affrontements entre supporters et forces de l’ordre avaient fait plusieurs blessés. Ces incidents ne sont donc pas des accidents isolés ; ils traduisent un problème structurel.

Dans un pays confronté à d’immenses défis socio-économiques, le football concentre une partie des espoirs et frustrations des populations. Chaque rencontre est perçue comme un enjeu vital, presque existentiel. Quand la victoire échappe, l’émotion collective se transforme en colère brute, et parfois en violence. Cette dérive, loin d’être anodine, menace la cohésion sociale et ternit durablement l’image du pays à l’international.

Les dégradations constatées mardi soir ne peuvent être interprétées comme une simple expression de frustration. Les sièges brisés, les vitres cassées, les installations vandalisées relèvent d’actes prémédités et irresponsables. Plus inquiétant encore, ces violences ont été filmées et partagées sur les réseaux sociaux, parfois même célébrées comme des trophées. Cette banalisation du vandalisme, transformé en spectacle, en dit long sur le déficit d’éducation sportive et civique.

Le fair-play, valeur fondatrice du sport, est trop peu valorisé en RDC. Ni dans les stades, ni dans les écoles, ni dans les médias, il n’est enseigné comme un principe central. De plus, les leaders sportifs, joueurs, entraîneurs, commentateurs, portent une responsabilité particulière. Lorsqu’ils rejettent la faute sur l’arbitrage ou sur l’adversaire plutôt que d’appeler au calme, ils alimentent indirectement la spirale de la violence.

Les réseaux sociaux jouent, eux aussi, un rôle aggravant. La viralité des images amplifie la colère et crée une logique malsaine de surenchère. Filmer et partager des destructions devient un moyen d’« exister » dans l’espace numérique, encourageant d’autres à reproduire ces comportements. Le danger est réel : la violence se normalise et s’inscrit dans les codes culturels de la jeunesse.

Une défaite ne justifie jamais la destruction. Le sport repose sur la compétition, et donc sur l’éventualité de perdre. Accepter l’échec avec dignité distingue le vrai supporter du mauvais perdant. Détruire un stade, c’est bafouer l’esprit du jeu et porter atteinte à un bien collectif. Les infrastructures appartiennent à toute la communauté ; les vandaliser revient à punir l’ensemble du pays.

Un déficit d’éducation sportive et civique. Le problème dépasse le cadre du ballon rond : il traduit une difficulté générale à inculquer le respect, la tolérance et la maîtrise de soi. Apprendre à perdre est aussi important que savoir gagner. Sans cette leçon, le sport se vide de son sens et devient une arène de violence.

En valorisant les contenus choquants, les plateformes nourrissent cette spirale. Ceux qui filment et diffusent ces scènes ne sont pas de simples témoins ; ils deviennent complices de la dérive.

Les figures sportives disposent d’une influence immense. Un capitaine qui appelle au calme, un entraîneur qui prône la retenue, un journaliste qui valorise le respect : tous peuvent transformer la culture des supporters. En RDC, cette exemplarité est trop rare et doit être encouragée.

D’autres pays offrent des modèles inspirants. Au Sénégal, malgré des défaites parfois douloureuses, les supporters continuent de célébrer leur équipe sans sombrer dans la violence. En Côte d’Ivoire, des campagnes de sensibilisation dans les stades ont réduit significativement les débordements. Même en Europe, où les hooligans ont longtemps semé la terreur, des mesures strictes, interdictions de stade, sanctions financières, programmes éducatifs, ont permis d’améliorer la situation. Ces exemples montrent qu’il est possible de transformer une passion potentiellement explosive en énergie constructive.

Les incidents du Stade des Martyrs ne sont pas une fatalité. Ils sont le fruit d’un laxisme collectif : supporters qui confondent passion et violence, autorités qui tardent à sanctionner, leaders sportifs qui manquent de courage moral. Rompre avec cette spirale exige des mesures fermes : sanctions exemplaires contre les vandales, éducation au fair-play dès l’école, régulation plus stricte des réseaux sociaux. Mais surtout, un changement de mentalité s’impose : le football doit redevenir un espace de joie, de partage et de respect, et non un prétexte à la barbarie.

Aux supporters congolais, un message simple : votre amour pour les Léopards est légitime, mais il doit s’exprimer dans la dignité. À ceux qui filment et diffusent la violence, il faut rappeler que vous contribuez à ternir l’image de votre pays. Quant aux dirigeants sportifs et politiques, il est de leur devoir de transformer ce drame en tournant décisif, afin que le Stade des Martyrs retrouve sa place : celle d’un symbole de fierté nationale, et non d’un théâtre de honte.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Khadija Ciss.
Mis en ligne : 12/09/2025

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