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Ce mercredi 10 septembre 2025, l’Association nationale des lutteurs en activité a tiré la sonnette d’alarme : la création d’une nouvelle fédération de lutte, présentée comme une avancée, s’accompagne en réalité d’une série d’irrégularités et d’opacité qui laissent présager le pire pour les acteurs de terrain. À travers une conférence de presse à Dakar, Gris Bordeaux et Modou Lo, figures emblématiques du milieu, ont dénoncé une précipitation suspecte, des affiliations douteuses et un mépris flagrant pour ceux qui font vivre ce sport.
Si l’idée d’une fédération n’est pas en soi contestable, sa mise en œuvre actuelle rappelle une triste habitude sénégalaise : on impose des structures sans concertation, sans transparence, et ce sont toujours les mêmes qui en paient le prix. Les lutteurs, pilier d’un secteur qui a fait la fierté et la richesse du pays, méritent mieux que ce traitement cavalière.
La lutte sénégalaise, discipline reine et phénomène socio-économique, a prospéré pendant plus de trente ans sans fédération, sous l’égide d’un Comité national de gestion (CNG) mis en place après l’abandon de l’ancienne fédération en 1994. Ce modèle, bien qu’imparfait, a permis l’émergence de champions millionnaires, de promoteurs dynamiques et d’un écosystème auto-régulé. Pourtant, aujourd’hui, on assiste à un retour en arrière déguisé en modernisation. La question est simple : pourquoi bousculer un système qui fonctionne, si ce n’est pour servir des intérêts autres que ceux des lutteurs ?
Les alertes lancées par Gris Bordeaux et Modou Lo ne sont pas anodines. Elles révèlent une précipitation inquiétante : plus de 50 écuries affiliées en deux mois, en pleine fin de saison, et des Associations sportives et culturelles (ASC) validées sans lien direct avec la lutte. Ces décisions, prises dans l’opacité, soulèvent des interrogations légitimes : qui en sont les véritables bénéficiaires ? Pourquoi une telle hâte, alors que les principaux concernés n’ont pas été consultés ?
L’argument avancé par les autorités la nécessité d’encadrer le sport serait recevable si la méthode n’était pas aussi contestable. L’affiliation massive d’écuries et d’ASC en un temps record, sans explication claire, ressemble étrangement aux pratiques du passé : des décisions imposées d’en haut, sans dialogue avec la base. Pire, l’inclusion d’associations sans rapport avec la lutte laisse craindre des conflits d’intérêts ou des détournements de fonds, un scénario malheureusement trop fréquent dans le sport africain.
Modou Lo, le Roi des arènes, a raison de s’interroger : « Pourquoi cette précipitation ? Que nous cache-t-on ? » Ces questions résonnent comme un écho des dysfonctionnements qui ont justifié la suppression de la fédération en 1994. À l’époque, c’était l’incapie administrative et la corruption qui avaient eu raison de l’institution. Aujourd’hui, les mêmes causes produiraient-elles les mêmes effets ?
La lutte n’est pas un simple sport au Sénégal : c’est un secteur économique majeur, un patrimoine culturel, et pour des milliers de jeunes, un moyen de subsistance. La mettre en péril par des réformes mal préparées, c’est jouer avec l’avenir de toute une profession.
Les lutteurs, premiers concernés, n’ont pas été associés aux discussions. On leur demande d’adhérer à un projet dont ils ignorent les tenants et les aboutissants. Comment croire que cette fédération sera à leur service, alors qu’ils en sont exclus dès sa création ?
L’intégration d’ASC sans lien avec la lutte pose problème. S’agit-il d’élargir la base du sport, ou d’ouvrir la porte à des acteurs extérieurs peu scrupuleux ? L’histoire du sport africain regorge d’exemples où des fédérations sont devenues des outils de clientélisme, au détriment des athlètes.
La lutte sénégalaise repose sur un équilibre fragile, où les écuries et les lutteurs vivent de contrats souvent informels. Une fédération mal gérée pourrait perturber cet écosystème, précariser les acteurs et favoriser les intermédiaires au détriment des vrais talents.
Aucune réponse claire n’a été apportée aux interrogations des professionnels. Cette opacité est inacceptable pour un secteur qui génère des millions et fait vivre des familles.
Cette situation n’est pas sans rappeler d’autres cas au Sénégal et en Afrique, où des fédérations sportives ont été créées ou réformées dans l’urgence, avec pour résultat des années de chaos. Prenons l’exemple de la fédération de football dans certains pays voisins : des dirigeants nommés sans légitimité, des budgets opaques, et des joueurs laissés pour compte. La lutte, avec son poids économique et symbolique, ne peut se permettre un tel scénario.
Au Sénégal même, d’autres secteurs ont souffert de réformes imposées sans concertation. Dans l’agriculture ou les transports, les acteurs de terrain ont souvent payé le prix de décisions technocratiques. La lutte, par sa visibilité et son importance, doit servir d’exemple : on ne réforme pas un secteur aussi vital dans la précipitation et le secret.
La lutte sénégalaise est bien plus qu’un sport : c’est une passion nationale, un levier économique, et pour beaucoup, une planche de salut. Les alertes de Gris Bordeaux et Modou Lo ne doivent pas être ignorées. Elles révèlent un problème récurrent : au Sénégal, on aime créer des structures, mais on oublie trop souvent ceux qui les font vivre.
Les lutteurs ne demandent pas l’impossible : ils veulent simplement être écoutés, respectés, et associés aux décisions qui les concernent. La nouvelle fédération pourrait être une opportunité… à condition qu’elle soit construite avec eux, et non contre eux. En l’état, elle ressemble davantage à une menace qu’à une solution.
Il est encore temps d’éviter l’erreur. Les autorités doivent arrêter cette précipitation, clarifier les critères d’affiliation, et surtout, inclure les lutteurs dans le processus. Sinon, cette fédération ne sera qu’une coquille vide, une de plus, et ce sont les champions d’aujourd’hui et ceux de demain qui en feront les frais. La lutte sénégalaise mérite mieux que ça. Elle mérite la transparence, le dialogue, et le respect.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Modou Fall.
Mis en ligne : 15/09/2025
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