Un scrutin sans opposition : La Guinée-Bissau bascule dans l’arbitraire - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 28/09/2025 12:09:55

Un scrutin sans opposition : La Guinée-Bissau bascule dans l’arbitraire

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La principale coalition d’opposition en Guinée-Bissau, Pai Terra Ranka, a annoncé ne pouvoir présenter ses candidats aux prochaines législatives, après le rejet de ses dossiers par la Cour suprême pour dépôt tardif. Si la décision s’appuie sur un argument technique, le non-respect d’un délai de 72 heures avant la date limite du 25 septembre, elle révèle une réalité bien plus troublante : celle d’une démocratie vidée de sa substance, où les institutions servent moins à garantir l’équité qu’à écarter les adversaires politiques.

En excluant une coalition regroupant dix partis, dont celui de l’ancien Premier ministre Domingos Simoes Pereira, la justice bissau-guinéenne prive les électeurs d’un vrai choix et isole une figure historique de l’opposition, affaiblissant sa campagne présidentielle avant même le vote. Derrière le formalisme juridique se cache une manœuvre politique qui rappelle les pires dérives observées ailleurs en Afrique de l’Ouest.

La Guinée-Bissau n’en est pas à sa première crise électorale. En 2019, Pereira avait déjà contesté la victoire d’Umaro Sissoco Embalo, dénonçant des fraudes et un « coup d’État constitutionnel ». Cinq ans plus tard, l’histoire se répète : Pereira, de retour après neuf mois d’exil, se retrouve une nouvelle fois face à un pouvoir déterminé à le marginaliser. La Cour suprême, chargée de valider les candidatures et de proclamer les résultats, est au cœur des polémiques, son impartialité étant régulièrement remise en cause, notamment en raison de sa paralysie institutionnelle et de son instrumentalisation par le pouvoir exécutif.

Dans un pays où les élections législatives de 2023 avaient pourtant vu la victoire de Pai Terra Ranka, cette exclusion sonne comme une revanche politique et un moyen d’affaiblir l’opposition avant la présidentielle du 23 novembre 2025.

L’argument du délai est difficilement crédible. Tous les partis étaient informés des règles, mais la Cour suprême affirme ne pas avoir eu le temps d’examiner les dossiers déposés la veille de l’échéance. Pourtant, en 2019, des irrégularités bien plus graves avaient été signalées sans entraîner de rejet systématique des candidatures. Aujourd’hui, c’est une coalition entière, représentant une diversité politique essentielle, qui est écartée sous prétexte de bureaucratie. Cette décision réduit drastiquement le pluralisme et donne à Embalo, président sortant, un avantage déloyal.

Pire, elle s’inscrit dans une stratégie de verrouillage du pouvoir. Pereira, deux fois victime (défaite contestée en 2019, exclusion technique en 2025), incarne une opposition structurée, capable de mobiliser. Son isolement avant le scrutin présidentiel n’est pas un hasard : il s’agit de neutraliser un rival sérieux, comme l’ont fait d’autres régimes africains ces dernières années.

Le scénario bissau-guinéen n’est malheureusement pas isolé. En Côte d’Ivoire, quatre figures de l’opposition, dont l’ancien président Laurent Gbagbo et l’ex-Premier ministre Guillaume Soro, ont été exclues de la présidentielle pour des motifs juridiques contestables. Au Sénégal, en 2024, des candidats comme Ousmane Sonko ont été écartés sous couvert de procédures judiciaires, suscitant des accusations de manipulation politique. Partout, le même schéma se répète : des règles brandies comme des armes, des cours suprêmes complaisantes, et une opposition réduite au silence.

Ces exclusions ne sont pas anodines : elles sapent la légitimité des scrutins et alimentent les tensions. En Guinée-Bissau, où la Cour suprême est déjà affaiblie par des luttes de pouvoir et un manque de crédibilité, cette décision risque d’aggraver l’instabilité, dans un pays déjà marqué par des coups d’État et des crises institutionnelles à répétition.

Face à ces dérives, le silence équivaudrait à une complicité. La communauté internationale doit exiger des garanties, telles qu’un audit indépendant du processus électoral, incluant la révision des décisions de la Cour suprême, des sanctions ciblées contre les responsables de ces exclusions arbitraires pour envoyer un signal clair : la démocratie ne se résume pas à des élections, mais à des élections justes et inclusives, et un soutien accru à la société civile bissau-guinéenne, seule capable de faire contrepoids à un exécutif tentaculaire.

La Guinée-Bissau mérite mieux qu’un scrutin truqué avant même le dépouillement. Sans pression internationale, le pays risque de sombrer dans un nouveau cycle de violence et d’illégitimité. Il est temps de cesser de fermer les yeux sur ces démocraties de façade, où le respect des règles ne sert qu’à masquer l’arbitraire.

En excluant Pai Terra Ranka, la Cour suprême de Guinée-Bissau ne fait pas appliquer la loi : elle participe à une mascarade électorale. Pereira, comme d’autres opposants africains, paie le prix de son engagement pour une alternance démocratique. Mais c’est tout un peuple qui en fera les frais, privé de son droit le plus élémentaire : choisir librement ses dirigeants. Si rien n’est fait, la Guinée-Bissau rejoindra la liste des pays où les urnes ne sont plus qu’un décor, et où le pouvoir se perpétue par la ruse plutôt que par le suffrage. La communauté internationale a le devoir d’agir – avant qu’il ne soit trop tard.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Angélique Gomis.
Mis en ligne : 28/09/2025

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