Un retour en classe trop risqué : Saint-Louis impuissante face à l'épidémie - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Santé | Par Eva | Publié le 29/09/2025 09:09:15

Un retour en classe trop risqué : Saint-Louis impuissante face à l'épidémie

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Le gouverneur de Saint-Louis, Al Hassane Sall, a récemment annoncé vouloir éradiquer l’épidémie de fièvre de la Vallée du Rift avant la rentrée des classes et universitaire, après 4 décès et 7 cas confirmés dans la région. Si l’intention est louable, force est de constater que cet objectif, aussi ambitieux soit-il, semble irréaliste au regard des délais nécessaires pour mettre en œuvre des mesures efficaces, des enseignements tirés d’épidémies similaires en Afrique, et des risques accrus de propagation liés au brassage des élèves et étudiants. Une analyse critique s’impose : entre vœu pieux et réalité du terrain, où se situe la vérité ?

La fièvre de la Vallée du Rift (FVR) est une zoonose virale transmise par les moustiques et le contact avec le bétail infecté. Elle sévit en Afrique depuis des décennies, avec des flambées récurrentes au Sénégal, en Mauritanie, au Kenya ou encore à Mayotte.

Les épidémies passées montrent que sa maîtrise exige une combinaison de mesures : vaccination du bétail, lutte anti-vectorielle, sensibilisation des populations, et coordination entre santé humaine et animale. Or, ces processus prennent du temps. À Mayotte, par exemple, l’épidémie de 2018-2019 a duré près d’un an, malgré la mobilisation des autorités et des chercheurs. La modélisation de la transmission a révélé que même une vaccination ciblée du bétail ne réduit les cas humains que de 30 %, un résultat loin d’une éradication rapide.

Au Sénégal, la maladie est endémique dans certaines zones, avec des foyers réguliers depuis les années 1980. Les dernières épidémies ont démontré que la FVR résiste aux réponses d’urgence, notamment en raison de sa transmission multiple (moustiques, contact avec les animaux, consommation de produits contaminés) et de la difficulté à couvrir rapidement les populations et les troupeaux.

Former les soignants, les éleveurs et les relais communautaires, puis distribuer moustiquaires, insecticides et kits de protection, nécessite des semaines, voire des mois. À Ziguinchor, en 2018, la combinaison de pulvérisations intra-domiciliaires, de distributions de moustiquaires et de sessions d’éducation sanitaire a permis de contrôler la maladie… après plusieurs mois d’efforts. Comment Saint-Louis pourrait-elle faire mieux en quelques semaines ?

Le gouverneur évoque des pulvérisations massives, mais celles-ci exigent une planification rigoureuse, des stocks suffisants d’insecticides, et une couverture géographique étendue, d’autant que la maladie a déjà touché un village de la région de Louga. Les épidémies passées en Afrique de l’Est ont montré que les campagnes de lutte anti-vectorielle, même bien organisées, mettent des mois à produire un impact significatif.

Les écoles et universités sont des lieux de concentration humaine idéaux pour la diffusion des maladies. Vouloir rouvrir les établissements sans risque suppose une immunité collective ou une interruption totale de la transmission, deux scénarios peu probables d’ici la rentrée.

La FVR nécessite une approche « Une seule santé », associant santé humaine, animale et environnementale. Pourtant, les retards dans la vaccination du bétail, la surveillance épidémiologique et la communication entre ministères ont souvent été pointés du doigt lors des précédentes crises. Rien ne garantit que Saint-Louis échappe à ces écueils.

Les données montrent que même avec des moyens importants, la maladie persiste plusieurs mois. Les mesures annoncées arrivent tard : la réunion du gouverneur intervient après une semaine de propagation et plusieurs décès. Les modèles de prévention les plus efficaces (comme la vaccination préventive du bétail) doivent être mis en place avant les premiers cas, pas après.

Un cas venu de Louga prouve que le virus circule déjà au-delà de Saint-Louis. Sans une réponse coordonnée à l’échelle de plusieurs régions, l’épidémie pourrait resurgir ailleurs, rendant vain tout effort localisé. L’expérience internationale montre également que la FVR peut se propager rapidement malgré des alertes précoces, soulignant la difficulté de contenir la maladie en un temps limité.

Vouloir éradiquer la FVR avant la rentrée relève davantage de l’incantation que de la feuille de route réaliste. Les délais sont trop courts, les moyens à déployer trop lourds, et les risques de propagation dans les écoles trop élevés. Plutôt que de fixer un objectif intenable, les autorités devraient reporter la rentrée dans les zones les plus touchées, le temps de stabiliser la situation, renforcer en urgence la vaccination du bétail et la lutte anti-vectorielle avec des moyens humains et financiers à la hauteur, et préparer les établissements scolaires à une éventuelle circulation du virus (dépistage, isolement des cas, sensibilisation renforcée).

La santé des élèves et des étudiants ne saurait être sacrifiée sur l’autel d’un calendrier scolaire. Il est temps d’agir avec pragmatisme : protéger les populations prime sur les symboles. La crédibilité des autorités se jugera non pas à leur capacité à tenir des promesses irréalistes, mais à leur courage à prendre des décisions difficiles, même impopulaires, pour sauver des vies.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Fatima Thiam.
Mis en ligne : 29/09/2025

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