220 millions contre des vies empoisonnées : Catastrophes minières en Zambie - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 30/09/2025 01:09:00

220 millions contre des vies empoisonnées : Catastrophes minières en Zambie

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En février dernier, la rupture d’une retenue minière près de Kitwe, en Zambie, a libéré des millions de litres de déchets toxiques dans l’environnement, contaminant sols et cours d’eau avec du cyanure, de l’arsenic et du cadmium. Cinquante fermiers, rejoints par 176 résidents, ont porté plainte contre l’entreprise chinoise Sino-Metals Leach (SML), exigeant 220 millions de dollars de compensation. Une somme qui, malgré son apparente importance, semble dérisoire au regard des dégâts humains et écologiques causés.

Derrière les chiffres et les communiqués rassurants de SML se cache une réalité bien plus sombre : celle d’une multinationale qui, comme tant d’autres, mise sur l’usure des plaignants et l’impunité pour échapper à ses responsabilités. Ce procès n’est pas seulement une affaire de pollution, mais un symbole du mépris des géants industriels pour les populations locales et l’environnement.

La Zambie, l’un des plus grands producteurs de cuivre au monde, paie un lourd tribut à l’exploitation minière. Les déversements de résidus toxiques y sont récurrents, mais celui de Kitwe se distingue par son ampleur. Selon Drizit, l’entreprise sud-africaine chargée du nettoyage, les quantités rejetées seraient vingt fois supérieures aux estimations initiales de SML. Pourtant, l’entreprise chinoise persiste à nier toute faute, affirmant avoir respecté les directives gouvernementales. Un argument peu convaincant, quand on sait que ces mêmes directives sont souvent laxistes, voire inefficaces, face à la puissance des lobbies miniers.

Les conséquences sont dramatiques : risques accrus de cancers, malformations congénitales, terres agricoles rendues stériles, et communautés entières déplacées. Dans ce contexte, la demande de 220 millions de dollars de compensation, bien que historique pour la Zambie, apparaît comme une aumône face à l’ampleur des préjudices subis. Pire, elle pourrait bien n’être qu’une étape dans une longue bataille judiciaire où SML, forte de ses ressources financières, a tout intérêt à traîner les pieds jusqu’à ce que les plaignants, épuisés, acceptent un accord bien moins avantageux.

Une somme dérisoire pour des dégâts irréversibles : 220 millions de dollars peuvent sembler colossaux, mais ils sont loin de couvrir les coûts réels de la catastrophe. Les études environnementales et sanitaires, le relogement des familles, la dépollution des sols et la prise en charge médicale des victimes nécessiteront des investissements bien plus importants. Sans compter les pertes économiques pour les agriculteurs, privés de leurs moyens de subsistance, ou les générations futures, condamnées à vivre sur des terres empoisonnées.

À titre de comparaison, la marée noire de l’Exxon Valdez en 1989 avait coûté plus de 4 milliards de dollars en dommages et dépollution, et encore, les écosystèmes n’ont jamais totalement récupéré. En Zambie, où les moyens de contrôle et de réparation sont limités, cette somme risque de n’être qu’un pansement sur une jambe de bois.

SML n’est pas la première entreprise à utiliser cette stratégie. De BP après la marée noire dans le golfe du Mexique à Vale après la rupture du barrage de Brumadinho au Brésil, les géants industriels ont une fâcheuse tendance à minimiser les dégâts, contester les responsabilités, et étirer les procédures judiciaires jusqu’à ce que les victimes, souvent pauvres et mal représentées, abandonnent ou se contentent de miettes.

En Zambie, où le système judiciaire est lent et sous-financé, cette tactique a toutes les chances de réussir. Les plaignants, des fermiers et des habitants ordinaires, n’ont ni les moyens ni l’influence pour tenir tête indéfiniment à une multinationale soutenue par un gouvernement souvent complaisant.

Cette affaire soulève une question cruciale : pourquoi les victimes de catastrophes industrielles doivent-elles se battre pendant des années pour obtenir réparation ? La création d’un fonds international, alimenté par les multinationales elles-mêmes, pourrait offrir une solution. Ce fonds permettrait de financer immédiatement les études d’impact, les soins médicaux et la réhabilitation des zones touchées, sans attendre les aléas des procédures judiciaires. Une idée déjà défendue par des ONG et des juristes, mais systématiquement bloquée par les lobbies industriels.

Le cas de SML en Zambie n’est pas isolé. En 2019, la rupture d’un barrage minier au Brésil, exploité par Vale, avait fait 270 morts et dévasté des centaines de kilomètres de rivières. La compensation versée, après des années de bataille, n’a jamais vraiment réparé les dégâts. En Inde, l’explosion de l’usine de Bhopal en 1984, responsable de milliers de morts, n’a donné lieu qu’à des dédommagements symboliques pour la plupart des victimes.

Partout dans le monde, les mêmes scénarios se répètent : des entreprises puissantes, des États complaisants, et des populations sacrifiées sur l’autel du profit. En Zambie, SML bénéficie d’un double avantage : un gouvernement zambien dépendant des investissements étrangers, et un système judiciaire peu armé pour affronter une multinationale.

Dans ce contexte, les 220 millions de dollars demandés ne sont pas une victoire, mais une concession minimale, calculée pour apaiser les critiques sans remettre en cause le modèle économique de l’entreprise. Pire, ils pourraient servir de caution morale à SML, lui permettant de continuer ses activités comme si de rien n’était, tout en se targuant d’avoir « réparé » ses erreurs.

La catastrophe de Kitwe est un rappel des dangers de l’exploitation minière non régulée. Elle montre aussi les limites d’un système où les multinationales dictent leurs conditions aux États et aux populations. Les 220 millions de dollars réclamés par les plaignants ne suffiront pas à effacer les dégâts, ni à empêcher de nouvelles tragédies. Il faut briser ce cycle de l’impunité.

Cela passe par trois mesures urgentes :

Des sanctions automatiques et proportionnelles pour les entreprises responsables de pollutions majeures, sans possibilité de négociation ou de retardement.

Un fonds international obligatoire, financé par les multinationales, pour indemniser rapidement les victimes et dépolluer les sites affectés.

Une transparence totale sur les activités minières, avec des contrôles indépendants et des sanctions immédiates en cas de manquement.

La Zambie ne doit pas être une nouvelle victime du cynisme industriel. La communauté internationale, les États et les citoyens ont le devoir de soutenir les plaignants et d’exiger que justice soit enfin rendue. Car si SML s’en sort sans conséquences, ce ne sera qu’une question de temps avant qu’une autre catastrophe ne frappe, ailleurs, avec les mêmes causes et les mêmes effets dévastateurs. Cette fois, ne laissons pas les pollueurs gagner.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Phillipe L.
Mis en ligne : 30/09/2025

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