L'opportunisme français, facturé aux africains : Le cas Bouygues en Guinée - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 01/11/2025 07:11:15

L'opportunisme français, facturé aux africains : Le cas Bouygues en Guinée

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DTP Mining, filiale du géant français Bouygues, vient de quitter abruptement la Guinée et le site minier de Tinguilinta, dans la région de Boké, sans explication claire ni engagement envers les populations locales. Officiellement, le départ serait lié à des révélations sur les réseaux sociaux et à des différends économiques avec l’exploitant émirien GAC. Officieusement, cette fuite en avant révèle une fois de plus le double discours des multinationales françaises en Afrique : se présenter comme des partenaires du développement tout en abandonnant le navire dès que leurs intérêts sont menacés.

Ce départ précipité, laissant derrière lui des dettes impayées et des promesses non tenues, est malheureusement devenu une habitude pour les grands groupes hexagonaux sur le continent.

La Guinée, riche en bauxite, attire depuis des décennies les convoitises des multinationales. Bouygues, via sa filiale DTP Mining, s’était vu confier en 2017 l’exploitation du site de Tinguilinta, présenté comme l’un des plus importants investissements miniers du pays en quarante ans, censé « porter l’économie guinéenne » et créer des emplois locaux. Pourtant, à peine huit ans plus tard, le groupe français tourne le dos à ses engagements, préférant laisser la junte guinéenne et les sous-traitants locaux gérer les conséquences de son départ. La raison invoquée ? Des « révélations » sur des négociations secrètes avec la junte, puis des difficultés économiques après la perte du titre minier par GAC. Mais derrière ces prétextes se cache une réalité plus crue : Bouygues, comme d’autres avant lui, agit en Afrique selon une logique purement opportuniste, sans assumer les risques politiques ou sociaux des pays qu’il exploite.

Le comportement de Bouygues en Guinée est emblématique de l’attitude des multinationales françaises en Afrique. Dès que la situation se complique qu’il s’agisse de tensions politiques, de changements de régime ou de difficultés financières ces groupes n’hésitent pas à plier bagage, laissant derrière eux des dettes, des travailleurs sans emploi et des infrastructures inachevées. Dans le cas de Tinguilinta, DTP Mining était sous-traitant pour GAC, qui a quitté le pays sans régler plusieurs dizaines de millions de dollars dus à Bouygues. Plutôt que de négocier une solution durable avec les nouvelles autorités guinéennes, le groupe français a préféré « jeter l’éponge », comme le souligne RFI. Pourtant, Bouygues n’est pas un simple spectateur : il a activement participé à des discussions en coulisses avec la junte, tout en se posant aujourd’hui en victime des circonstances. Où est passé l’engagement pour le « développement local » tant vanté lors de l’attribution du contrat ?

Cette fuite en avant n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une longue tradition de prédation économique, où les entreprises françaises exploitent les ressources africaines sans véritable contrepartie pour les populations. En Guinée comme ailleurs, Bouygues a bénéficié de contrats juteux, de conditions avantageuses, et d’une main-d’œuvre locale bon marché. Mais quand les vents tournent, il ne reste plus qu’un message laconique et des promesses envolées.

Selon Africa Intelligence, Bouygues aurait négocié avec la junte guinéenne la reprise totale du site minier, avant de se rétracter sous prétexte de « révélations » gênantes. Cette pratique des tractations opaques, loin des regards publics, est monnaie courante. Elle illustre le mépris des multinationales pour la transparence et le dialogue avec les acteurs locaux. Comment un groupe qui se targue de respecter les « normes internationales » peut-il ainsi jouer sur deux tableaux, entre partenariat affiché et manœuvres douteuses ?

Le départ de Bouygues laisse des centaines d’emplois en suspens et des sous-traitants guinéens sans paiement. Comme au Niger avec Areva (devenu Orano), où le géant du nucléaire a été jugé pour « blessures involontaires » après avoir sous-estimé les risques terroristes pour ses employés, ou en Ouganda avec TotalEnergies, accusé d’expulsions forcées et de violations des droits humains, les groupes français quittent souvent les pays africains en laissant derrière eux un bilan social désastreux. En Ouganda, Total a été traîné en justice pour des compensations insuffisantes versées aux populations déplacées, tout en niant en bloc les accusations. En Guinée, Bouygues reproduit le même schéma : des engagements non tenus, des travailleurs livrés à eux-mêmes, et une communication minimaliste pour éviter les remous.

Que ce soit Areva au Niger, Total en Ouganda ou Bouygues en Guinée, le constat est accablant : ces entreprises agissent en Afrique avec une impunité qui serait impensable en Europe. Au Niger, Areva a quitté le pays après le retrait de son permis d’exploitation, laissant derrière lui des sites contaminés et des communautés locales sans recours. En Ouganda, TotalEnergies est poursuivi pour « violations des droits humains » et destruction environnementale, mais continue d’avancer ses pions, protégé par son poids économique. En Guinée, Bouygues s’en va sans rendre de comptes, comme si les règles du jeu étaient différentes pour l’Afrique.

Ces exemples montrent une constante : les multinationales françaises exploitent les faiblesses des États africains, profitent des ressources, puis disparaissent quand les conditions ne leur conviennent plus. Leur responsabilité sociale et environnementale, tant mise en avant dans leurs rapports annuels, semble s’arrêter aux frontières de l’Hexagone.

Le cas de Bouygues en Guinée rappelle étrangement celui d’Areva au Niger. Le géant du nucléaire y a exploité l’uranium pendant des décennies, avant de voir ses contrats remisés en cause par la junte au pouvoir. Plutôt que de renégocier de bonne foi, Areva a menacé de fermer ses mines, avant de finalement plier bagage, laissant le Niger sans les retombées économiques promises. Même scénario en Ouganda, où TotalEnergies a été contraint par la justice française à plus de transparence sur ses projets pétroliers, après des années de déni face aux accusations d’expulsions et de pollution.

Ces situations soulignent un problème structurel : les multinationales françaises considèrent l’Afrique comme un terrain de jeu où les règles ordinaires ne s’appliquent pas. Leurs engagements en matière de développement durable, de respect des droits humains ou de création d’emplois locaux ne sont souvent que de la poudre aux yeux, destinée à verdir leur image en Europe tout en poursuivant une exploitation sans scrupules sur le continent.

Le départ de Bouygues de Guinée est un nouveau symbole de l’hypocrisie des multinationales françaises en Afrique. Ces groupes se présentent comme des acteurs du développement, mais agissent en réalité comme des prédateurs, fuyant dès que leurs intérêts sont menacés et laissant les populations locales payer le prix de leur avidité. Il est temps que la France et ses entreprises assument leurs responsabilités : transparence dans les contrats, respect des engagements sociaux et environnementaux, et fin de l’impunité pour les abus commis à l’étranger.

L’Afrique n’a pas besoin de partenaires qui arrivent avec des promesses et repartent avec les ressources. Elle a besoin de coopérations équitables, où les bénéfices sont partagés et les risques assumés collectivement. Tant que des groupes comme Bouygues continueront à agir en maîtres absolus, le néocolonialisme économique perdurera, sous une forme peut-être plus polie, mais tout aussi destructrice. La balle est désormais dans le camp des États africains, qui doivent exiger plus de accountability, et dans celui des citoyens français, qui doivent refuser que leurs entreprises représentent une telle honte à l’étranger.

La Guinée, le Niger, l’Ouganda et tant d’autres pays méritent mieux que des partenaires qui tournent casaque au premier vent. Il faut mettre fin à ce deux poids, deux mesures, et d’exiger que les multinationales françaises appliquent en Afrique les mêmes standards qu’elles prétendent défendre en Europe. Sinon, leur crédibilité et celle de la France sera définitivement perdue.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ousmane B.
Mis en ligne : 01/11/2025

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