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Dans une tribune récente publiée par Walfadjri, Papa Makhtar Diallo s’en prend avec virulence aux dirigeants politiques sénégalais, dénonçant leur détachement face à la souffrance du peuple et leur penchant pour les « spectacles inutiles » tandis que le pays s’enfonce dans la précarité. Son article, intitulé « Honte à ceux qui festoient pendant que le peuple souffre », se veut le cri d’un « éternel indigné », porteur des doléances des Sénégalais les plus vulnérables. Pourtant, derrière cette posture moralisatrice se cache une question fondamentale : qui est vraiment Papa Makhtar Diallo pour donner des leçons ?
Son parcours, son appartenance à l’élite médiatique, et son positionnement au sein d’un groupe de presse aussi influent que controversé interrogent la légitimité de son indignation. En réalité, son discours, bien que percutant, révèle moins une proximité avec les réalités populaires qu’une stratégie médiatique et politique bien huilée.
Papa Makhtar Diallo n’est pas un simple citoyen. Chroniqueur vedette à la SENTV (émission Ndoumbélane) et à la Zik FM (Les Grandes Gueules), il est aussi président du mouvement citoyen « Les Indignés du Sénégal » et figure centrale du groupe Walfadjri, un média souvent perçu comme un acteur clé et polarisant du paysage politique sénégalais. Issu d’un quartier populaire de Saint-Louis, il a su gravir les échelons pour devenir une voix influente, mais aussi une cible de critiques pour son indignation sélective et son alignement avec certaines franges de l’opposition. Walfadjri, quant à lui, est bien plus qu’un simple média : c’est une institution qui a souvent été au cœur des tensions entre pouvoir et contre-pouvoir, subissant censures et pressions, mais aussi accusée de partialité et de populisme.
Diallo incarne ainsi une élite médiatique qui, tout en se réclamant du peuple, bénéficie d’une tribune privilégiée pour façonner l’opinion. Son indignation, aussi sincère puisse-t-elle paraître, s’inscrit dans un écosystème où la critique politique est à la fois un métier et un business.
Diallo dénonce avec force les privilèges des dirigeants, mais il oublie un peu vite les siens. En tant que chroniqueur star et figure médiatique, il dispose d’un accès permanent aux tribunes, d’une audience garantie, et d’une immunité relative face aux critiques qu’il adresse aux autres. Comme le soulignent plusieurs observateurs, les journalistes et éditorialistes qui occupent le haut de la pyramide médiatique sont souvent déconnectés des réalités qu’ils décrivent. En France, par exemple, les « éditorialistes parisiens » sont régulièrement accusés de mépriser les préoccupations des classes populaires, préférant les débats d’idée aux enquêtes de terrain. Au Sénégal, la situation n’est guère différente : les figures médiatiques les plus en vue, comme Diallo, évoluent dans des cercles où la précarité n’est qu’un sujet de débat, rarement une expérience vécue.
Dans son article, Diallo peint un tableau apocalyptique du Sénégal, évoquant des files de jeunes désœuvrés, des hôpitaux sans lits, des familles sans pain. Pourtant, où sont ses propositions concrètes ? Où sont ses initiatives pour sortir de la crise, en dehors des tribunes et des livres ? Critiquer est une chose ; agir en est une autre. Contrairement aux dirigeants qu’il attaque, Diallo n’a jamais eu à gérer un budget national, à arbitrer entre des priorités contradictoires, ou à assumer la responsabilité de décisions impopulaires. Son rôle se limite à pointer du doigt, à alimenter l’indignation une posture bien moins risquée que l’action politique.
Son engagement est-il vraiment désintéressé ? Walfadjri, média qui l’emploie, est connu pour son positionnement souvent partisan, son rôle dans la polarisation du débat public, et son utilisation de l’indignation comme levier d’audience. Diallo, en tant que chroniqueur phare, participe à cette machine. Son indignation, aussi légitime soit-elle sur le fond, sert aussi à alimenter l’audience de son média, à renforcer son image de « tribun du peuple », et à mobiliser un lectorat en quête de boucs émissaires. Comme le note un observateur, « quand on est né et formé pour ne faire que de la critique facile, de l’indignation sélective, […] sa place est bel et bien à Walf ».
Se présenter comme le porte-voix du peuple suppose une proximité avec ses réalités. Or, Diallo, comme beaucoup de ses pairs, vit et travaille dans un univers où la précarité est un sujet, pas une expérience quotidienne. Son parcours d’un quartier populaire à l’UCAD, puis aux plateaux télévisés est certes méritoire, mais il ne suffit pas à le placer au-dessus de toute critique. Au contraire, il renforce l’idée d’une élite qui parle au nom des autres, sans toujours les consulter ni rendre de comptes.
Diallo excelle dans l’art de la formule choc (« honte à ceux qui festoient »), mais où sont ses solutions ? Supprimer les fonds politiques ? Très bien, mais comment financer la démocratie ? Plafonner les salaires des ministres ? Une mesure symbolique, mais qui ne résoudra pas le chômage des jeunes. Son discours reste dans le registre de la morale, jamais dans celui de l’efficacité.
Walfadjri, son employeur, est régulièrement accusé de partialité, de populisme, et même de désinformation. Dans un tel contexte, l’indignation de Diallo perd en crédibilité : elle devient un produit médiatique parmi d’autres, conçu pour capter l’attention, pas pour construire des alternatives.
En France, des figures comme Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ont été critiquées pour leur détachement des réalités sociales, malgré leur rhétorique populiste. Aux États-Unis, des éditorialistes comme Tucker Carlson ont bâti leur carrière sur l’indignation, avant d’être démasqués pour leur hypocrisie. Diallo risque de suivre le même chemin : celui d’un tribun dont l’audience repose sur la colère, mais dont l’impact réel sur le terrain est limité.
Papa Makhtar Diallo a le mérite de braquer les projecteurs sur des problèmes réels : le chômage des jeunes, la défaillance des services publics, l’arrogance de certains dirigeants. Mais son discours, parce qu’il émane d’une élite médiatique et qu’il manque cruellement de propositions concrètes, sonne souvent creux. Son indignation, aussi légitime soit-elle, ne suffit pas à en faire le porte-parole du peuple sénégalais.
Le Sénégal a besoin de dirigeants et de penseurs capables de proposer des solutions, pas seulement de dénoncer. Il a besoin de voix qui émergent du terrain, pas seulement des plateaux télévisés. Diallo, en restant dans le registre de la critique facile, rate une occasion de truly servir son pays. Son procès en légitimité est donc double : non seulement il n’a pas l’expérience de la gestion publique, mais son indignation, parce qu’elle est sélective et médiatisée, finit par ressembler à un spectacle de plus celui d’un éternel indigné qui, au fond, ne prend jamais vraiment le risque de l’action.
Le peuple sénégalais mérite mieux que des leçons de morale. Il mérite des acteurs engagés, prêts à retrousser leurs manches et à proposer des chemins concrets vers le changement. En attendant, l’indignation de Diallo restera ce qu’elle est : un cri dans le désert médiatique, plus utile à sa carrière qu’à la cause qu’il prétend défendre.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Patrick A.
Mis en ligne : 17/11/2025
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