Le miracle injectable contre le VIH : Accessible à qui vraiment ? - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Santé | Par Eva | Publié le 19/12/2025 02:12:00

Le miracle injectable contre le VIH : Accessible à qui vraiment ?

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Le 1er décembre 2025, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, l’Eswatini et la Zambie ont annoncé le début des injections de Lenacapavir, un traitement préventif contre le VIH présenté comme révolutionnaire. Avec seulement deux injections par an et une efficacité frôlant les 100 %, ce médicament suscite un espoir légitime dans la lutte contre la pandémie. Pourtant, derrière cette annonce médiatique, se cache une réalité plus complexe : celle d’un outil de communication politique qui masque les défaillances structurelles des systèmes de santé africains et les lacunes des stratégies de prévention. Si le Lenacapavir représente indéniablement un progrès scientifique, son déploiement actuel relève davantage d’un effet d’annonce que d’une véritable stratégie de santé publique.

Le Lenacapavir, développé par le laboratoire américain Gilead, est le premier traitement injectable à longue durée d’action pour la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Les essais cliniques, comme PURPOSE 1 et PURPOSE 2, ont démontré une efficacité exceptionnelle, réduisant les infections par le VIH de 96 % à 100 % selon les populations étudiées. Cependant, son introduction en Afrique soulève des questions sur son accessibilité, son coût et la transparence des données cliniques à long terme. Alors que l’Afrique subsaharienne concentre plus de la moitié des 40,8 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde, seulement 500 doses ont été livrées à la Zambie et à l’Eswatini, et 1 000 doses supplémentaires sont prévues pour d’autres pays. Un nombre dérisoire au regard des besoins réels.

L’annonce du déploiement du Lenacapavir lors de la Journée mondiale contre le sida n’est pas anodine. Elle intervient dans un contexte de crise financière majeure pour la lutte contre le VIH, marquée par des coupes budgétaires massives dans l’aide internationale, notamment de la part des États-Unis et de la France. Ces réductions ont déjà provoqué l’arrêt de programmes essentiels et une diminution des services de prévention et de traitement, menaçant des millions de vies. Dans ce contexte, la mise en avant du Lenacapavir permet aux gouvernements africains et aux ONG de surfer sur l’émotion collective, tout en détournant l’attention des vrais problèmes : la corruption, les pénuries de médicaments de base, et la désorganisation des systèmes de santé.

Si les résultats des essais cliniques sont prometteurs, les données sur l’efficacité à long terme, les effets secondaires et les protocoles de suivi dans des conditions réelles restent limitées. Les études disponibles se concentrent principalement sur des populations spécifiques (hommes cisgenres, femmes transgenres, personnes non binaires) et dans des contextes contrôlés. Or, les populations africaines, souvent marginalisées et confrontées à des défis logistiques majeurs, pourraient ne pas bénéficier des mêmes résultats. De plus, le coût exorbitant du traitement, 28 000 dollars par an aux États-Unis, soulève des interrogations sur sa viabilité économique pour les pays africains, même si des accords ont été négociés pour le rendre accessible à 40 dollars par an dans certains pays. Mais ces accords ne couvrent qu’une infime partie des besoins, et leur durabilité dépendra de la bonne volonté des laboratoires et des donateurs internationaux.

En mettant en avant le Lenacapavir, les gouvernements africains et les organisations internationales occultent les défis persistants de la riposte au VIH. Les cliniques, déjà sous-financées et sous-équipées, peineront à administrer ce traitement injectable, qui nécessite une logistique rigoureuse (chaîne du froid, suivi médical, etc.). Pire, cette innovation risque de détourner les ressources et l’attention des solutions éprouvées mais moins médiatisées, comme le dépistage, l’éducation sexuelle, et la distribution de préservatifs. Comme le souligne Ndivhuwo Rambau, coordinatrice de l’organisation Ritschidze en Afrique du Sud, « si nous ne nous penchons pas sur l’état de nos cliniques, ce traitement ne sera jamais accessible à ceux qui en ont vraiment besoin ».

Cette situation rappelle d’autres cas où des innovations médicales ont été présentées comme des solutions miracles, sans pour autant résoudre les problèmes structurels. Par exemple, les campagnes de vaccination contre le Covid-19 en Afrique ont souvent été entravées par des problèmes logistiques et une dépendance aux dons internationaux. De même, les traitements antirétroviraux oraux, bien que disponibles, restent inaccessibles à une partie importante de la population en raison de leur coût et de la faiblesse des infrastructures sanitaires. Le Lenacapavir, aussi révolutionnaire soit-il, ne changera rien à ces réalités si les systèmes de santé ne sont pas renforcés en parallèle.

Le Lenacapavir est une avancée scientifique majeure, mais son déploiement actuel en Afrique relève davantage d’une opération de communication que d’une stratégie de santé publique durable. Plutôt que de se contenter d’annonces spectaculaires, les gouvernements africains et la communauté internationale doivent repenser globalement leur approche de la lutte contre le VIH.

Cela passe par des investissements massifs dans les infrastructures sanitaires, une transparence totale sur les données cliniques, et une volonté politique de s’attaquer aux causes profondes de l’épidémie : la pauvreté, les inégalités d’accès aux soins, et la stigmatisation des populations les plus vulnérables. Sans cela, ce traitement risque de rester un privilège pour quelques-uns, tandis que des millions de personnes continueront de souffrir faiblement des conséquences d’une épidémie qui aurait pu être maîtrisée.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Anonyme.
Mis en ligne : 19/12/2025

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