L’illusion de l’urgence : Quand le ministère joue avec le temps des étudiants - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Education | Par Maimouna | Publié le 22/12/2025 10:12:15

L’illusion de l’urgence : Quand le ministère joue avec le temps des étudiants

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Le 5 décembre 2025, le ministre de l’Enseignement supérieur, Daouda Ngom, a adressé une circulaire aux recteurs des universités publiques sénégalaises, leur demandant de lui transmettre, avant le 16 décembre, la liste des étudiants de Master 2 éligibles à une nouvelle inscription pour l’année académique 2025-2026. L’objectif affiché ? « Permettre de positionner les ayants droit dans le système et d’anticiper leur paiement ». Une initiative présentée comme une solution à la crise qui secoue les campus depuis des semaines, marquée par des grèves, des affrontements avec les forces de l’ordre, et une suspension précaire du mouvement à l’UCAD, désormais étendue à l’UGB.

Pourtant, cette mesure, aussi tardive qu’insuffisante, révèle surtout l’incapacité du ministère à anticiper et à résoudre un problème structurel, connu depuis plus d’une décennie.

Depuis 2014, le décret n°2014-963 fixe clairement les conditions d’attribution des bourses : deux années de bourse pour les étudiants en Master, avec une possibilité de troisième année en cas de redoublement. Pourtant, chaque année, les mêmes dysfonctionnements resurgissent : retards d’inscription, paiements tardifs, tensions sociales. Les étudiants de Master 2, en particulier, sont les grands oubliés du système, leurs bourses devenant systématiquement une source de « perturbations des campus », comme le reconnaît lui-même le ministre. Cette année, la crise a atteint un niveau inédit : des étudiants en grève depuis plus de deux semaines, des blessés des deux côtés, et une colère qui s’étend à d’autres universités.

La circulaire du 5 décembre 2025 intervient donc après des semaines de mobilisation, comme si le ministère découvrait soudainement l’urgence. Pourtant, le problème est ancien : les inscriptions en Master 2 se font toujours en retard, retardant d’autant le paiement des bourses. Pourquoi aucune solution pérenne n’a-t-elle été trouvée en onze ans ?

La demande de liste des étudiants éligibles, adressée aux recteurs en pleine crise, est révélatrice d’une stratégie de gestion de l’urgence plutôt que de résolution du problème. Le ministère semble préférer déléguer la responsabilité aux universités plutôt que d’assumer l’échec de son propre système centralisé. En exigeant des listes dans un délai serré, le ministre donne l’impression d’agir, mais il ne fait que reporter la charge administrative sur les établissements, sans garantir que les paiements interviendront à temps.

Pire, cette mesure arrive après que des milliers d’étudiants aient attendu jusqu’à treize mois leur bourse, certains se voyant proposer un étalement des paiements sur l’année suivante une solution jugée inacceptable par les représentants étudiants. La Direction des bourses évoque une « question budgétaire », mais comment expliquer que le budget ne soit jamais aligné sur les besoins réels, année après année ?

L’Association des Juristes Africains (AJA) a rappelé, dans un communiqué récent, l’importance de respecter strictement le cadre légal du décret de 2014, soulignant que les « retards de paiement » et les « incompréhensions autour du renouvellement des bourses » sont à l’origine d’un climat tendu qui affecte le bon fonctionnement des universités. Pourtant, malgré les alertes répétées, le ministère persiste dans une gestion réactive, au mépris des droits des étudiants et de la stabilité académique.

Le décret de 2014 est brandi comme une référence, mais son application reste lettre morte. Les étudiants de Master 2, censés bénéficier de deux années de bourse, se retrouvent souvent sans ressources pendant des mois, voire plus d’un an. La circulaire du 5 décembre ne propose aucune mesure concrète pour corriger ces dysfonctionnements, se contentant de demander des listes comme si le problème était un manque d’information, et non un manque de volonté politique.

En mettant la pression sur les recteurs, le ministère se dédouane. Pourtant, c’est bien à l’État qu’incombe la responsabilité de financer et d’organiser le versement des bourses. Les universités, déjà en première ligne face à la colère étudiante, sont une fois de plus sommées de pallier les carences de l’administration centrale.

Aucune annonce n’a été faite sur une réforme du système, une augmentation des budgets, ou une simplification des procédures. Les étudiants sont traités comme des variables d’ajustement, leurs droits dépendant des aléas budgétaires et des crises politiques.

Dans des pays voisins comme la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso, les bourses universitaires, bien que perfectibles, font l’objet de calendriers plus prévisibles et de mécanismes de suivi plus transparents. Au Sénégal, l’improvisation semble être la règle, au détriment de la confiance dans les institutions.

La circulaire du ministre Daouda Ngom est une rustine sur une jambe de bois. Elle ne résoudra ni les retards de paiement, ni la précarité étudiante, ni la défiance envers les autorités. Pour sortir de cette spirale, il faut plus qu’une liste : une refonte complète du système de bourses, un budget réaliste, et une volonté politique de placer l’éducation au cœur des priorités nationales.

Les étudiants sénégalais ne demandent pas l’aumône. Ils réclament le respect de leurs droits, inscrits dans un décret depuis 2014. Tant que le ministère se contentera de gérer l’urgence au lieu de construire des solutions durables, les crises se répéteront, et avec elles, le gâchis humain et académique. L’heure n’est plus aux circulaires de dernière minute, mais à une réforme ambitieuse, transparente et équitable. L’avenir du pays en dépend.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mbaye Sonko.
Mis en ligne : 22/12/2025

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