Quand la liberté devient un jeu : Le cas Badara Gadiaga - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Justice | Par Eva | Publié le 23/12/2025 03:12:30

Quand la liberté devient un jeu : Le cas Badara Gadiaga

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L’affaire Badara Gadiaga, chroniqueur de la TFM, vient de connaître un nouveau rebondissement aussi surprenant qu’instructif. Après des mois de détention, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar a confirmé, le 4 décembre 2025, sa mise en liberté provisoire sous bracelet électronique. Pourtant, le chroniqueur reste derrière les barreaux, dans l’attente d’une décision du parquet général, qui dispose encore de quelques jours pour former un pourvoi en cassation. Ce feuilleton judiciaire, marqué par des retournements incessants, révèle une justice sénégalaise plus préoccupée par l’effet de suspense que par le respect des droits fondamentaux et l’équité procédurale. À travers cette affaire, c’est toute la crédibilité du système judiciaire qui est en jeu, et avec elle, la confiance des citoyens dans leurs institutions.

Badara Gadiaga a été arrêté le 9 juillet 2025, à la suite d’une altercation télévisée avec Amadou Bâ, alors député et aujourd’hui ministre du Tourisme. Son incarcération, puis les multiples reports et décisions contradictoires, ont rapidement transformé son cas en symbole des tensions entre liberté d’expression et pouvoir politique. La Chambre d’accusation a bien confirmé sa libération sous conditions (bracelet électronique, couvre-feu, interdiction de quitter Dakar), mais le parquet général, en refusant de trancher dans les délais raisonnables, maintient le chroniqueur dans une incertitude cruelle. Cette lenteur délibérée interroge : s’agit-il d’une simple procédure, ou d’une stratégie pour prolonger une détention contestée ?

L’Alliance Pour la République (APR) a d’ailleurs dénoncé une « persécution politique », soulignant que Badara Gadiaga n’est qu’un maillon d’une chaîne de détentions arbitraires visant des opposants et des voix critiques. Le parti exige la fin de ces « contraintes » et la libération immédiate de ceux qu’il qualifie d’« otages politiques ». Cette instrumentalisation présumée de la justice n’est pas sans rappeler d’autres affaires récentes, où des figures médiatiques ou politiques ont été ciblées pour leurs prises de position.

La décision de la Chambre d’accusation aurait dû marquer la fin d’un épisode judiciaire. Pourtant, le parquet général, en utilisant jusqu’à la dernière minute le délai qui lui est imparti, transforme une procédure normale en un spectacle angoissant pour l’intéressé et ses proches. Deux scénarios restent possibles : soit le parquet renonce au pourvoi, et Badara Gadiaga recouvre une liberté surveillée ; soit il forme un recours, prolongeant ainsi une détention déjà longue et injustifiée.

Ce suspense organisé pose plusieurs questions. Pourquoi le parquet prend-il autant de temps à se prononcer, alors que la loi prévoit des délais clairs ? Pourquoi maintenir un homme en prison alors que la justice a déjà statué en sa faveur ? Les observateurs ne peuvent s’empêcher de voir, dans ces atermoiements, une volonté de faire durer la pression sur un critique du pouvoir. La justice, censée protéger les citoyens, semble ici jouer un rôle ambigu, entre respect des formes et soumission à des logiques extra-judiciaires.

Par ailleurs, les conditions de sa libération éventuelle bracelet électronique, restrictions de mouvement – soulèvent elles aussi des interrogations. Une liberté sous surveillance est-elle encore une liberté ? Ou s’agit-il d’une peine déguisée, destinée à dissuader d’autres voix de s’élever ?

Depuis juillet 2025, l’affaire Badara Gadiaga accumule les rebondissements : garde à vue, mise en examen, ordonnance de libération contestée, audience devant la Chambre d’accusation, et maintenant, l’attente d’un éventuel pourvoi. Chaque étape semble conçue pour entretenir l’incertitude, comme si la justice sénégalaise avait adopté les codes du divertissement plutôt que ceux de la rigueur procédurale. Cette lenteur est d’autant plus choquante que le délit reproché des propos tenus en direct à la télévision – ne justifie pas une telle sévérité.

Le parquet dispose d’un délai précis pour se prononcer. Pourtant, il utilise chaque jour supplémentaire pour maintenir Badara Gadiaga en détention, sans explication claire. Cette opacité nourrit les soupçons d’une justice instrumentalisée, où les décisions dépendraient moins du droit que des rapports de force politiques.

Cette affaire s’inscrit dans une série de cas où des journalistes, opposants ou simples citoyens critiques ont été la cible de poursuites judiciaires prolongées. À chaque fois, le scénario est le même : arrestation, détention, libération sous conditions, puis nouveau suspense. Cette répétition n’est pas anodine : elle envoie un message clair à ceux qui osent contester le pouvoir.

Le Sénégal n’est pas le seul pays où la justice est utilisée comme arme politique. En Turquie, en Russie, ou même dans certains pays africains, des opposants sont maintenus en détention grâce à des procédures interminables. Mais le Sénégal, souvent présenté comme un modèle démocratique en Afrique, se doit de montrer l’exemple. Or, dans cette affaire, il ressemble de plus en plus à ces régimes où la justice est un outil de répression.

Les dysfonctionnements révélés par l’affaire Badara Gadiaga appellent une réforme en profondeur du système judiciaire. Il est temps de garantir l’indépendance des magistrats, de limiter les pouvoirs discrétionnaires du parquet, et de rétablir des délais raisonnables pour les procédures. Sans cela, la confiance des Sénégalais dans leur justice continuera de s’éroder.

L’affaire Badara Gadiaga est révélatrice d’un malaise plus large. Elle montre une justice sénégalaise en crise, tiraillée entre son rôle de garante des libertés et les pressions politiques. Les rebondissements incessants, les délais interminables, et l’opacité des décisions sapent la crédibilité des institutions et alimentent le sentiment d’une justice à deux vitesses.

Il est urgent de mettre fin à ces pratiques. La libération de Badara Gadiaga, si elle intervient, ne suffira pas à restaurer la confiance. Il faudra aussi des réformes ambitieuses, une transparence accrue, et une volonté politique de placer l’équité au-dessus des calculs partisans. Sinon, le Sénégal risque de perdre l’un de ses atouts majeurs : une justice respectée, indépendante, et au service de tous les citoyens.

En attendant, le spectacle continue. Et c’est toute la démocratie sénégalaise qui en paie le prix.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : François Sarr.
Mis en ligne : 23/12/202
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