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Le 14 décembre 2025, la ville côtière de Safi, au Maroc, a été frappée par des crues soudaines d’une violence inouïe, causant la mort d’au moins 37 personnes et laissant derrière elle un paysage de désolation. Les images de rues transformées en torrents boueux, de voitures renversées et de quartiers historiques submergés ont choqué le pays et le monde. Si les autorités ont rapidement mobilisé les secours, cette tragédie soulève une question troublante : dans sa quête d’attractivité touristique et de rayonnement international, le Maroc néglige-t-il la sécurité et le bien-être de ses citoyens ? Entre la préparation de la Coupe du Monde 2030, la modernisation des infrastructures touristiques et la réalité des risques naturels, le royaume semble confronté à un paradoxe criant : comment concilier l’image d’une destination sûre et moderne avec des infrastructures défaillantes et une gestion des risques encore insuffisante ?
Safi, ville portuaire de 300 000 habitants, est connue pour son patrimoine historique, son artisanat et son rôle économique. Pourtant, les inondations du 14 décembre ont révélé une réalité bien moins reluisante. En seulement une heure, des pluies torrentielles ont transformé la médina et ses ruelles étroites en pièges mortels. Selon les autorités, 70 habitations et commerces ont été inondés, des véhicules emportés, et des axes routiers coupés. Les habitants, interrogés par RFI, pointent du doigt l’oued qui a débordé, faute d’entretien et de systèmes de prévention adaptés. Les réseaux d’égouts bouchés, l’absence de plans d’évacuation efficaces et la lenteur des alertes ont aggravé la situation, malgré des prévisions météo annoncées dès la veille.
Cette catastrophe n’est pas un cas isolé. En septembre 2024, des inondations dans le sud du pays avaient déjà fait 18 morts, rappelant la vulnérabilité chronique de certaines régions face aux intempéries. Pourtant, le Maroc se targue d’être l’une des destinations les plus sûres d’Afrique, classée parmi les trois pays les moins risqués du continent en 2025. Une image soigneusement construite, qui contraste avec la réalité des quartiers populaires, souvent laissés pour compte.
Le Maroc mise depuis des années sur le tourisme comme levier de croissance. En 2025, le secteur représente près de 10 % du PIB, avec des records d’arrivées et des investissements massifs dans les infrastructures hôtelières et aéroportuaires. La Coupe du Monde 2030, coorganisée avec l’Espagne et le Portugal, est présentée comme une opportunité historique pour moderniser le pays. Plus de 322 milliards de dirhams (environ 30 milliards d’euros) sont prévus pour les infrastructures, dont une grande partie destinée aux stades, aux transports et à l’accueil des touristes. Les aéroports sont agrandis, les routes réhabilitées, et les villes hôtes se parent de projets pharaoniques.
Pourtant, cette frénésie d’investissements semble laisser de côté les besoins essentiels des populations locales. À Safi, comme dans d’autres villes, les quartiers populaires et les médinas, souvent densément peuplés et mal équipés, paient le prix de cette priorité donnée au prestige international. Les barrages et systèmes de drainage, pourtant cruciaux pour prévenir les inondations, restent insuffisants ou mal entretenus. Le projet « Arima », lancé en 2019 pour évaluer les risques dans la région Marrakech-Safi, peine à se concrétiser sur le terrain, faute de moyens ou de volonté politique. Résultat : les habitants des zones à risque sont livrés à eux-mêmes lorsque la nature frappe.
La comparaison avec d’autres pays est édifiante. En Asie du Sud-Est, des villes comme Jakarta ou Hué, régulièrement touchées par des inondations, ont commencé à investir dans des solutions durables, comme les « villes éponges », pour absorber les eaux de pluie et limiter les dégâts. En Europe, des métropoles comme Paris ou New York, confrontées à des crues similaires, ont renforcé leurs infrastructures et leurs plans d’urgence, même si les résultats restent inégaux. Au Maroc, en revanche, les efforts semblent se concentrer sur les zones touristiques, au détriment des quartiers populaires.
Alors que des milliards sont injectés dans les stades et les hôtels, les budgets alloués à la gestion des risques naturels restent insuffisants. Le barrage collinaire de Ouled Salem à Safi, par exemple, est encore en réhabilitation, alors que la ville vient de subir sa pire catastrophe en une décennie.
Le Maroc est souvent présenté comme un modèle de stabilité et de sécurité en Afrique, une image qui attire les investisseurs et les touristes. Pourtant, les inondations de Safi montrent que cette sécurité est loin d’être uniforme. Les habitants des médinas, souvent les plus pauvres, sont les premières victimes de cette politique de « deux poids, deux mesures ».
Le réchauffement climatique augmente la fréquence et l’intensité des pluies torrentielles. Pourtant, les plans d’adaptation, comme celui de la région Marrakech-Safi, tardent à être appliqués. Les autorités misent sur des solutions ponctuelles (secours d’urgence, réparations) plutôt que sur une prévention structurelle.
Les préparatifs pour le Mondial accélèrent certes la modernisation des infrastructures, mais principalement dans les villes hôtes. Les zones rurales et les petites villes, comme Safi, risquent de rester à la traîne, malgré les promesses de développement inclusif.
La tragédie de Safi doit servir d’électrochoc. Le Maroc ne peut se contenter de briller sur la scène internationale tout en abandonnant une partie de sa population à la merci des catastrophes naturelles. Il est temps de rééquilibrer les investissements, en plaçant la sécurité et la résilience des territoires au même niveau que les mégaprojets touristiques.
La Coupe du Monde 2030 pourrait être une chance pour le pays, à condition que les retombées profitent à tous, et pas seulement aux visiteurs étrangers. Cela passe par :
Un renforcement urgent des infrastructures de gestion des eaux et des risques naturels dans toutes les régions.
Une meilleure coordination entre les acteurs locaux, nationaux et internationaux pour anticiper les crises.
Une transparence accrue sur l’utilisation des fonds publics, afin que les habitants de Safi et d’ailleurs ne soient plus les sacrifiés d’un modèle de développement inégal.
Le Maroc a les moyens de concilier attractivité touristique et sécurité pour tous. Encore faut-il en avoir la volonté politique. Sinon, le bilan humain des prochaines catastrophes risque d’être encore plus lourd.
Comment le Maroc pourrait-il intégrer la gestion des risques naturels dans sa stratégie touristique, sans sacrifier ses ambitions économiques ? La réponse dépendra de sa capacité à placer l’humain au cœur de ses priorités.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Doudou Diaw.
Mis en ligne : 29/12/2025
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