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L’annonce récente d’une possible réouverture du procès opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang, évoquée par la ministre de la Justice Yassine Fall, a été présentée comme une procédure encadrée par la loi organique sur la Cour suprême. Pourtant, derrière les apparences juridiques, cette initiative soulève des questions troublantes sur l’indépendance de la justice sénégalaise et les risques d’arbitraire qu’elle pourrait engendrer. Si la révision d’un jugement définitif n’est possible qu’en cas de « fait nouveau » ou de « pièce déterminante » inconnue lors du procès initial, la concentration du pouvoir de décision entre les mains du ministre de la Justice, combinée au contexte politique actuel, transforme cette procédure exceptionnelle en un précédent inquiétant.
Accepter une telle révision, dans un dossier aussi politisé, ouvrirait la porte à une instrumentalisation systématique de la justice, affaiblissant durablement la crédibilité de la Cour suprême et, in fine, celle de l’État de droit au Sénégal.
Le dossier Sonko–Niang n’est pas un cas isolé. Ces dernières années, le Sénégal a connu une multiplication d’affaires judiciaires à forte coloration politique, où l’opposition a souvent dénoncé une justice à deux vitesses. La condamnation de Sonko pour diffamation, confirmée en appel, avait déjà cristallisé les tensions, d’autant que l’actuel Premier ministre incarne une figure majeure de l’opposition. La loi d’amnistie de 2024, adoptée dans un climat de crise post-électorale, a par ailleurs montré comment le pouvoir exécutif peut utiliser le droit pour apaiser ou relancer des dossiers selon ses besoins. Selon Human Rights Watch et Amnesty International, cette loi a été perçue comme un outil d’impunité, couvrant des infractions commises entre 2021 et 2024, y compris des violences politiques graves. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs invalidé en avril 2025 une tentative de révision de cette amnistie, rappelant que les crimes les plus graves (meurtres, tortures) ne peuvent être effacés.
Dans ce contexte, la réouverture du procès Sonko–Niang intervient alors que la Cour suprême est déjà fragilisée par des suspicions de partialité et une perte de confiance de la population, comme le soulignent les conclusions des récentes assises sur la justice. La procédure de révision, normalement réservée à des cas exceptionnels, devient ainsi un enjeu de pouvoir, où la frontière entre droit et politique s’estompe.
La révision d’un jugement définitif est une mesure rare, encadrée par des conditions strictes : il faut un fait nouveau, inconnu lors du procès, susceptible de jeter un doute sérieux sur la culpabilité. Pourtant, dans le cas présent, plusieurs éléments laissent craindre une dérive :
Seul le ministre de la Justice peut saisir la Cour suprême pour une révision. Cette concentration du pouvoir, dans un pays où les affaires politico-judiciaires se multiplient, pose un problème démocratique majeur. Comme le rappelle Me El Amath Thiam, président de « Justice sans Frontière », cette procédure ne relève ni de la victime ni de l’accusé, mais d’une autorité politique. Or, l’histoire récente du Sénégal (et de l’Afrique francophone) montre que l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir n’est pas une exception, mais une tendance lourde. Au Gabon, au Mali, en Côte d’Ivoire ou au Congo, des opposants ont été ciblés par des procédures judiciaires douteuses, souvent sans preuve solide, dans le but de les écarter de la scène politique.
Qui garantit que les éléments invoqués pour justifier la révision ne seront pas des prétextes, voire des fabrications ? L’expérience montre que, sous pression politique, des « preuves » peuvent émerger ou être exagérées pour influencer l’opinion. En Afrique du Sud, au Rwanda ou en Sierra Leone, des commissions de vérité ou des cours spéciales ont parfois été détournées de leur mission initiale pour servir des agendas politiques. Au Sénégal, l’affaire du COUD ou les poursuites contre Karim Wade et Khalifa Sall ont déjà illustré comment des dossiers judiciaires peuvent être montés ou accélérés pour des raisons politiques.
La haute juridiction sénégalaise, déjà critiquée pour sa lenteur et son manque d’indépendance perçue, se trouverait placée dans une position impossible. Si elle accède à la demande de révision, elle validera une procédure suspecte et perdra toute crédibilité. Si elle la rejette, elle sera accusée de partialité. Dans les deux cas, c’est la confiance dans l’institution qui sera érodée. Comme l’a noté le juriste Alimou Barro, « le Sénégal risque de voir sa justice devenir un champ de bataille politique, où chaque décision sera perçue comme un coup de force ».
Accepter une révision dans ce dossier créerait un dangereux précédent : demain, toute condamnation pourrait être remise en cause pour des motifs politiques, surtout si elle concerne un opposant ou un proche du pouvoir. La Cour suprême, dont le rôle est de garantir la stabilité juridique, deviendrait alors un acteur de l’instabilité, soumise aux aléas des luttes partisanes.
L’Afrique offre malheureusement plusieurs exemples d’instrumentalisation judiciaire. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et Blé Goudé, acquittés par la Cour pénale internationale, ont été condamnés a posteriori par la justice nationale sur réquisition du ministère public. Au Gabon, l’emprisonnement de Bertrand Zibi ou la persécution de Lionnel Zinssou et Sébastien Ajavon montrent comment le « lawfare » (l’utilisation de la loi comme arme de guerre politique) s’est généralisé. Au Mali, des opposants restent incarcérés malgré des ordonnances de libération, révélant une justice aux ordres.
Au Sénégal, l’affaire Sonko s’inscrit dans cette lignée. Comme le souligne l’ONG 3D, « depuis Senghor, chaque régime a été accusé d’instrumentaliser la justice pour écarter ses adversaires. Mais c’est la première fois qu’un personnage politique de premier rang cumule autant de dossiers judiciaires à motivation politique ». La réouverture de son procès ne ferait qu’aggraver cette tendance, en normalisant l’idée que la justice peut être manipulée selon les besoins du moment.
La réouverture du procès Sonko–Niang n’est pas une simple question juridique. C’est un test pour la démocratie sénégalaise. Si la Cour suprême cède à la pression, elle ouvrira la voie à une justice de plus en plus arbitraire, où les décisions dépendront moins des faits que des rapports de force politiques.
Pour éviter ce scénario, il est urgent de :
Clarifier les critères de révision pour éviter toute suspicion de manipulation. Garantir l’indépendance totale de la Cour suprême, en la protégeant des pressions exécutives. Réformer en profondeur le système judiciaire, comme le demandent les assises nationales, pour restaurer la confiance des citoyens et des acteurs politiques.
La crédibilité de la justice sénégalaise est en jeu. Accepter ce précédent, ce serait accepter que le droit ne soit plus qu’un instrument au service du pouvoir. Le Sénégal mérite mieux : une justice impartiale, transparente, et respectée de tous. La balle est désormais dans le camp de la Cour suprême. Saura-t-elle résister à la tentation de l’arbitraire ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Yves Sagna.
Mis en ligne : 29/12/2025
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