La politisation des décisions judiciaires est un phénomène qui touche de nombreux pays africains, y compris le Sénégal en particulier, et qui compromet gravement l’indépendance et l’intégrité du système judiciaire. Dans un contexte où la politique et les affaires judiciaires sont étroitement imbriquées, les juges et les magistrats sont souvent soumis à des pressions extérieures qui influencent leurs décisions. Ce phénomène est d’autant plus visible dans les pays où les institutions démocratiques sont encore jeunes ou fragiles, où la séparation des pouvoirs n’est pas toujours pleinement respectée. La politisation des procès, qu’il s’agisse de l’orientation de la justice à des fins partisanes ou de l’utilisation du système judiciaire pour régler des comptes politiques, constitue un défi majeur pour les sociétés africaines, mettant en péril la confiance des citoyens dans leur système judiciaire.
L’un des aspects les plus visibles de la politisation de la justice en Afrique est l’utilisation des procès pour attaquer des opposants politiques ou des dissidents. Dans certains pays, y compris le Sénégal, les gouvernements ont recours au système judiciaire pour mettre en place des stratégies de contrôle social et politique. Par exemple, les dirigeants politiques peuvent engager des poursuites judiciaires contre des figures de l’opposition sous des prétextes parfois flous ou exagérés, dans le but de les disqualifier ou de les réduire au silence. Ce phénomène est particulièrement dangereux, car il envoie un message clair à la société : la justice n’est pas neutre, mais un instrument entre les mains de ceux qui détiennent le pouvoir. En conséquence, la justice perd sa crédibilité, et les citoyens peuvent se retrouver dans une situation où ils hésitent à recourir aux tribunaux, de peur de subir des pressions ou des sanctions liées à leur position politique.
Un exemple frappant dans ce contexte sénégalais est l’affaire Karim Wade, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, qui a été condamné pour détournement de fonds publics en 2015. Bien que certains aient dénoncé cette condamnation comme étant politiquement motivée pour écarter un prétendant potentiel à la présidence, d’autres y ont vu une nécessité de rendre justice face aux accusations de corruption. Cette ambiguïté dans l’interprétation de la décision judiciaire nourrit le sentiment que la justice est utilisée comme un outil de lutte politique plutôt que de rétablissement de la vérité. Cette situation renforce l’idée que, dans certains cas, la justice en Afrique sert moins à punir les fautes qu’à maintenir des rapports de force entre les acteurs politiques.
Lorsque la politique envahit le domaine judiciaire, l’indépendance de la justice en souffre. L’indépendance judiciaire est un pilier essentiel de l’État de droit, mais lorsqu’un gouvernement utilise les tribunaux pour faire pression sur l’opposition ou pour influencer les décisions judiciaires, cela fragilise la démocratie elle-même. Au Sénégal, bien que la constitution garantisse théoriquement l’indépendance de la justice, dans les faits, certains juges peuvent se retrouver confrontés à des pressions politiques qui influencent leur prise de décision. Ces pressions peuvent venir de différents acteurs, qu’il s’agisse du pouvoir exécutif, des partis politiques au pouvoir ou même d’acteurs économiques puissants. Les magistrats sont souvent pris entre leur devoir d’obéir à la loi et la crainte de représailles politiques, ce qui peut les amener à rendre des jugements influencés par des intérêts politiques, au lieu de se baser uniquement sur la loi.
Cela a des conséquences directes sur la société : une justice dévoyée devient un instrument d’oppression, et non un moyen de garantir les droits et la sécurité des citoyens. Lorsque les décisions judiciaires sont perçues comme étant politiquement motivées, la population perd confiance dans les institutions judiciaires. Ce phénomène engendre une perception de l’impunité, particulièrement parmi ceux qui n’ont pas de poids politique. Les citoyens se sentent impuissants et abandonnés par un système judiciaire qui devrait, pourtant, être la dernière ligne de défense contre l’injustice.
Dans les régimes autoritaires ou semi-démocratiques en Afrique, le système judiciaire peut aussi être utilisé pour légitimer un pouvoir en place. Parfois, les procès à haute visibilité sont utilisés comme un moyen de renforcer la position du gouvernement tout en donnant l’illusion de rendre la justice. Dans certains cas, un dirigeant ou un gouvernement peut utiliser un procès comme un « spectacle » pour démontrer son autorité, rassurer les élites et montrer qu’il lutte contre la corruption ou d’autres maux sociaux. Mais en réalité, ces procès peuvent être manipulés pour obtenir un résultat prédéterminé qui favorise l’ascension du pouvoir ou l’élimination des rivaux politiques.
Un exemple de cette pratique est l’utilisation des procès pour légitimer les actions d’un gouvernement, comme dans le cas des procès célèbres qui ont lieu à la veille des élections. Ces procès peuvent se traduire par la mise en cause de personnalités politiques influentes de l’opposition, juste avant un scrutin, afin de les disqualifier ou de semer la division au sein de l’opposition. Le procès, au lieu d’être un outil de justice, devient alors une arme de manipulation politique. Dans ces contextes, les juges, même s’ils veulent rester indépendants, sont souvent pris dans un système où les décisions sont dictées par des enjeux politiques bien plus larges.
Face à la politisation des décisions judiciaires, il est impératif de renforcer les mécanismes de contrôle et d’équilibre afin de garantir une justice indépendante et impartiale. La réforme de la justice, à la fois structurelle et fonctionnelle, est cruciale pour empêcher que la politique n’empiète sur les affaires judiciaires. Cela inclut une meilleure formation des magistrats, des règles strictes sur les relations entre le pouvoir politique et les institutions judiciaires et un système transparent d’audit judiciaire pour garantir la neutralité des décisions. Les sociétés africaines, y compris au Sénégal, doivent également exercer une vigilance citoyenne accrue, en soutenant des initiatives de transparence et de reddition de comptes, pour s’assurer que la justice reste une force d’équité et non un instrument de pouvoir.
Il est également essentiel de renforcer les mécanismes internationaux et régionaux de surveillance judiciaire, comme la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, pour garantir que les pratiques de politisation de la justice soient rapidement dénoncées et corrigées. Le Sénégal, qui a toujours eu une tradition de respect des droits humains, doit être un modèle dans ce domaine, en prônant une justice véritablement indépendante, capable de défendre l’État de droit contre toutes les formes d’ingérence politique.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mamadou Sow
Mis en ligne : 12/01/2025
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