En sept mois d’existence, le Pôle judiciaire financier (PJF) a clairement imprimé sa marque sur la justice sénégalaise. Installé le 17 septembre 2024 pour traquer la délinquance économique et financière, ce bras armé du parquet livre aujourd’hui un premier bilan qui ne passe pas inaperçu : chiffres impressionnants, enquêtes sensibles, anciens ministres dans le viseur… la justice sénégalaise semble bien décidée à tourner la page de l’impunité.
Jeudi matin, face à la presse, le trio de procureurs — Mbacké Fall (Cour d’appel), Ibrahima Ndoye (Tribunal de Grande Instance hors classe de Dakar) et El Hadj Alioune Abdoulaye Sylla (Procureur financier) — a détaillé les résultats du PJF.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : 292 dossiers traités, 262 personnes interpellées, 92 véhicules saisis, 11 titres fonciers gelés, 15 milliards de FCFA récupérés en cautionnements et saisies. La valeur globale des avoirs saisis culmine à 135 milliards FCFA.
À travers ces données, c’est tout un système de prédation qui est lentement démonté. « Notre mission est claire : poursuivre le blanchiment d’argent, la corruption et le détournement de fonds publics », a martelé le procureur financier Sylla. Mais il prévient : « Ces affaires sont souvent complexes, transfrontalières, et impliquent des experts en dissimulation. La lutte prend du temps. »
Parmi les dossiers les plus sensibles figure celui du Fonds Force Covid-19, une manne de 740 milliards FCFA mobilisée en pleine pandémie. Un rapport accablant de la Cour des comptes en 2022 avait déjà semé le trouble. Aujourd’hui, les poursuites s’accélèrent. Le procureur général Mbacké Fall a confirmé que cinq anciens ministres sont désormais visés. Leurs dossiers ont été transmis à l’Assemblée nationale, seule habilitée à autoriser leur jugement par la Haute Cour de justice.
Dépenses non justifiées, surfacturations d’équipements médicaux, soupçons de détournement : les charges sont lourdes. « Des irrégularités graves ont été relevées. Nous attendons une résolution parlementaire pour que justice soit faite », a déclaré Fall. Le parquet promet de rester ferme, mais dans les limites du droit : présomption d’innocence, droits de la défense et indépendance de la justice sont rappelés à chaque étape.
Depuis début avril, les enquêtes s’intensifient. La Division des investigations criminelles (DIC) a procédé à plusieurs arrestations : Mamadou Ngom Niang, ex-DAGE du ministère des Sports, Mouhamadou Sène, ex-DAGE du ministère de la Jeunesse, ou encore Alimatou Sadiya Guèye, mise en cause pour 50 millions FCFA. Une deuxième vague d’interpellations a suivi le 15 avril, visant des responsables financiers. Une troisième devrait intervenir sous peu, selon des sources judiciaires.
Si les résultats sont là, les obstacles aussi. Le procureur Sylla a mis en lumière la complexité des enquêtes internationales. « Nous dépendons de la coopération de magistrats étrangers, ce qui ralentit l’instruction », a-t-il expliqué. Mais la détermination reste intacte. « Nous irons jusqu’au bout, en respectant scrupuleusement les droits de chacun. »
Dans la même veine, le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, a rappelé en février que la transparence et la redevabilité sont au cœur de sa vision. « Les irrégularités révélées ne relèvent pas de simples erreurs comptables. Chaque responsable devra répondre de ses actes », avait-il prévenu.
Alors que le PJF s’impose progressivement comme le fer de lance d’une nouvelle ère judiciaire, les Sénégalais observent avec attention cette dynamique de transparence. La succession de la CREI par une institution modernisée semble porter ses fruits. Et pour une population longtemps frustrée par l’opacité dans la gestion des fonds publics, ces premières avancées résonnent comme une promesse tenue.
En toile de fond, l’attente d’un signal fort de l’Assemblée nationale concernant les anciens ministres visés. Le sort de ce dossier emblématique pourrait bien sceller la crédibilité d’un appareil judiciaire résolu à mettre fin à l’ère des privilèges intouchables. Une chose est sûre : la reddition des comptes n’est plus un slogan, elle s’installe comme une norme.
Article écrit par : Mariama Ba
Mis en ligne : 18/04/2025
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