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À l’occasion de la TICAD 9, les présidents sénégalais et mauritaniens ont une nouvelle fois salué leur partenariat autour du méga-projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), présenté comme un levier d’intégration économique et sociale. Pourtant, derrière les chiffres prometteurs et les discours optimistes, se cache une réalité bien plus sombre : celle d’une pêche artisanale asphyxiée, de promesses non tenues et d’un conflit d’usage qui menace les moyens de subsistance de milliers de familles.
Si le GTA est bien entré dans sa phase opérationnelle, ses retombées pour les populations locales restent illusoires, tandis que les plateformes offshore perturbent gravement les zones de pêche traditionnelles, essentielles à la sécurité alimentaire et à l’emploi en Afrique de l’Ouest.
Le Sénégal et la Mauritanie partagent une longue tradition halieutique. À Saint-Louis, comme dans d’autres villes côtières, la pêche artisanale représente bien plus qu’une activité économique : c’est un pilier social et culturel. Pourtant, depuis plusieurs mois, les pêcheurs alertent sur la raréfaction des poissons dans leurs filets, directement liée à la construction et à l’exploitation de la plateforme GTA, située à seulement 40 kilomètres des côtes. Selon RFI, les pêcheurs de Saint-Louis dénoncent une « raréfaction des poissons quasi totale », les forçant à s’aventurer toujours plus loin, parfois dans les eaux mauritaniennes, au risque de conflits avec les autorités localesr. La zone du GTA, autrefois riche en récifs coralliens et en poissons, est désormais interdite ou rendue inaccessible par les infrastructures gazières, réduisant drastiquement les zones de pêche disponibles.
Le projet GTA promet 3 000 emplois et la formation de 47 techniciens locaux. Des chiffres dérisoires face aux besoins réels : la pêche artisanale emploie des dizaines de milliers de personnes au Sénégal et en Mauritanie, et fait vivre indirectement des millions de personnes. Les 47 techniciens formés ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan de précarité. Pire, les compensations promises aux communautés affectées brillent par leur absence. Les pêcheurs, dont la seule source de revenus est la mer, se retrouvent sans alternative, sans formation de reconversion, et sans indemnisation à la hauteur des préjudices subis.
Les gouvernements sénégalais et mauritanien, ainsi que les multinationales BP et Kosmos Energy, semblent privilégier les revenus du gaz au détriment de la sécurité alimentaire et des écosystèmes marins. Les études d’impact environnemental, jugées « superficielles et incomplètes » par les associations locales, n’ont pas suffi à prévenir les dégâts. Les pêcheurs de Saint-Louis ont même porté plainte contre BP et Kosmos, accusant les entreprises de ne pas les consulter et de menacer leur activité. En Afrique du Sud, face à des projets similaires, TotalEnergies a dû renoncer à deux champs gaziers offshore sous la pression des pêcheurs et des ONG, preuve que la mobilisation peut payer. Pourquoi une telle inertie au Sénégal et en Mauritanie ?
La pêche artisanale contribue à hauteur de 3,2 % du PIB sénégalais et jusqu’à 12 % dans la région de Saint-Louis. La perturbation des zones de pêche par le GTA met en péril cette économie locale, sans que des solutions concrètes ne soient proposées. Les 3 000 emplois annoncés depuis 2017 sont loin de compenser les pertes subies par les pêcheurs. Les programmes de formation et d’insertion restent marginaux et mal adaptés aux réalités locales. Les revenus du gaz, destinés en priorité à l’exportation, profitent d’abord aux multinationales et aux États, tandis que les populations locales subissent les conséquences environnementales et économiques. Les gouvernements, sous pression pour rembourser les dettes liées au projet, semblent sacrifier la pêche sur l’autel du gaz.
En Afrique de l’Ouest, les conflits entre pêche artisanale et industries extractives ne datent pas d’hier. En Guinée, au Ghana ou en Gambie, les chalutiers industriels et les projets pétroliers ont déjà décimé les stocks de poissons, privant les communautés côtières de leur principale source de nourriture et de revenus. Pourtant, malgré ces précédents, le Sénégal et la Mauritanie reproduisent les mêmes erreurs, sans mécanisme de compensation équitable ni plan de reconversion pour les pêcheurs.
Le partenariat Sénégal-Mauritanie autour du GTA est présenté comme un modèle de coopération régionale. Pourtant, il risque de devenir un symbole de l’échec des États africains à concilier développement économique et justice sociale. Sans une prise en compte urgente des besoins des pêcheurs, sans des compensations réelles et sans un plan de reconversion ambitieux, le GTA ne sera qu’un nouveau projet extractiviste, où les profits iront aux uns et les pertes aux autres.
Il est encore temps d’agir. Les gouvernements sénégalais et mauritanien, ainsi que leurs partenaires internationaux, doivent entendre la colère des pêcheurs et réviser leur copie. Le gaz ne doit pas tuer la pêche, secteur clé pour l’emploi et l’alimentation en Afrique de l’Ouest. La vraie intégration économique passe par la protection des moyens de subsistance des populations, pas par leur sacrifice au nom du progrès.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pathé Gueye.
Mis en ligne : 26/08/2025
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