Coopération fantôme : Le fleuve Sénégal abandonné à son sort - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Environnement | Par Eva | Publié le 30/08/2025 08:08:30

Coopération fantôme : Le fleuve Sénégal abandonné à son sort

Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »

La Direction de la gestion et de la planification des ressources en eau (DGPRE) a récemment alerté sur la situation critique du fleuve Sénégal : à Bakel, le niveau de l’eau n’est plus qu’à 78 centimètres de la cote d’alerte, à 36 centimètres à Matam, et à 1,37 mètre à Kidira. Ces chiffres, bien que techniques, masquent une réalité bien plus alarmante : l’incapacité des États riverains à gérer collectivement ce fleuve partagé, malgré les structures censées assurer sa protection.

Derrière ces données se cache un échec cuisant de la coopération régionale, une gestion désordonnée des barrages, et une Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) souvent plus préoccupée par les apparences que par l’efficacité.

Le fleuve Sénégal, long de 1 790 km, traverse le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, avant de se jeter dans l’Atlantique. Depuis 1972, l’OMVS est chargée de coordonner la gestion de ses ressources entre ces trois pays, rejoints plus tard par la Guinée. Pourtant, malgré des décennies d’existence et des milliards investis, l’organisation peine à remplir sa mission. Les crues récurrentes, comme celles de 2024, ont touché plus de 500 localités, dont 300 au Sénégal et 60 en Mauritanie, causant des dégâts humains et économiques considérables. Les barrages de Manantali (Mali) et Diama (à la frontière sénégalo-mauritanienne), censés réguler le débit et prévenir les inondations, sont au cœur des tensions. Leur gestion unilatérale, sans concertation réelle, aggrave les risques en aval, notamment à Bakel, Matam et Podor, où les populations paient le prix de décisions prises à des centaines de kilomètres.

Les communiqués de l’OMVS se multiplient, annonçant des plans d’alerte et des stratégies de résilience. Pourtant, sur le terrain, la réalité est tout autre. Les lâchers d’eau du barrage de Manantali, décidée par le Mali, sont souvent effectués sans préavis suffisant, inondant des villages sénégalais et mauritaniens déjà vulnérables. En 2024, les crues ont été attribuées à une combinaison de pluies extrêmes, d’apports incontrôlés des affluents (Falémé, Bakoye) et de déversements depuis Manantali, mais aussi à un manque criant de coordination entre les États. L’OMVS, malgré son score flatteur de 91 dans l’indice de coopération sur l’eau, semble impuissante à imposer une gestion truly concertée. Les réunions techniques et les ateliers se succèdent, mais les décisions restent nationales, voire nationalistes, et les populations riveraines sont les dernières informées.

Les tensions historiques entre le Sénégal et la Mauritanie, exacerbées par des conflits frontaliers et des crises diplomatiques, n’arrangent rien. En 1989, la rupture des relations entre les deux pays avait déjà perturbé la gestion du fleuve, avec des conséquences durables sur l’agriculture et l’équilibre écologique de la vallée. Aujourd’hui, alors que le Sénégal publie des bilans détaillés des dégâts, la Mauritanie garde un silence radio, révélant un fossé persistant dans la gestion commune des risques.

Le barrage de Manantali, présenté comme un « rempart contre les inondations »omvs.org, est en réalité une source majeure de risques. Ses lâchers d’eau, justifiés par la sécurité de l’ouvrage, sont souvent perçus comme une menace par les populations en aval. En octobre 2024, des villages entiers du Fouta-Toro ont été isolés à cause de ces déversements, sans que l’OMVS ne parvienne à atténuer les impacts. Pire, l’organisation propose désormais la construction de nouveaux barrages sur les affluents non contrôlés, une solution coûteuse et controversée, plutôt que de renforcer la coopération existante.

L’OMVS, plutôt que de jouer son rôle d’arbitre, semble parfois instrumentalisée par les États membres. Les financements prometteurs (35 milliards de FCFA pour la navigation fluviale en 2024-2025) contrastent avec l’absence de résultats concrets pour les populations. Les plans d’alerte existent sur le papier, mais leur mise en œuvre reste chaotique, faute de volonté politique partagée.

À l’inverse, des organisations comme la Commission du bassin du Mékong ou celle du Rhin ont su instaurer des mécanismes de concertation contraignants, réduisant significativement les risques d’inondation. Dans ces cas, les États riverains partagent des données en temps réel et soumettent leurs projets d’aménagement à une approbation collective. Rien de tel pour le fleuve Sénégal, où chaque pays agit selon ses propres intérêts, souvent au détriment des voisins.
Conclusion : la coopération régionale, un leurre ?

Face à l’urgence climatique et aux crues de plus en plus fréquentes, la gestion du fleuve Sénégal révèle les limites d’une coopération régionale plus formelle que réelle. L’OMVS, malgré ses belles intentions, reste prisonnière des rivalités nationales et de l’absence de gouvernance transparente. Tant que les États riverains ne mettront pas l’intérêt commun au-dessus de leurs querelles, les populations continueront de subir les conséquences de cette incurie collective.

La question reste posée : la coopération régionale n’est-elle qu’un alibi pour masquer l’échec des États à protéger leurs citoyens ? Il faut que l’OMVS passe des communiqués aux actes, sous peine de voir le fleuve Sénégal devenir le symbole d’une Afrique incapable de gérer ses propres ressources. Les vies humaines en dépendent.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Diop.
Mis en ligne : 30/08/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top