Kigali inspire, Dakar s’interroge : Le risque du copier-coller rwandais - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Environnement | Par Eva | Publié le 27/10/2025 08:10:00

Kigali inspire, Dakar s’interroge : Le risque du copier-coller rwandais

Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »

Ce dimanche, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a participé, aux côtés de Paul Kagame, à la traditionnelle Car Free Day de Kigali. Présentée comme un symbole de « responsabilité citoyenne » et de « développement durable », cette initiative rwandaise est devenue, selon les communiqués officiels, le théâtre d’une « convergence de vues » entre les deux dirigeants. Pourtant, derrière les images idylliques de cette marche conjointe se cache une question gênante : le Sénégal, pays de la Teranga et de la démocratie pluraliste, a-t-il vraiment intérêt à s’inspirer du modèle rwandais, souvent loué pour son ordre et sa propreté, mais aussi critiqué pour son autoritarisme et son manque de libertés ?

En s’alignant sur Kigali, Faye risque non seulement de reproduire un modèle inadapté aux réalités locales, mais aussi de légitimer un régime dont les méthodes interrogent. Derrière le verniss écologiste et l’unité africaine affichée se profile une diplomatie du mimétisme, où l’innovation et l’autonomie cèdent la place à l’imitation.

Le Rwanda de Paul Kagame est régulièrement cité en exemple pour sa propreté exemplaire, son développement rapide et sa discipline sociale. La Car Free Day, organisée deux fois par mois, en est l’une des vitrines : une population mobilisée, des rues désertes de voitures, une image d’État moderne et responsable. Pourtant, ce tableau idyllique occulte une réalité plus complexe. Le pays est dirigé d’une main de fer : opposition muselée, presse contrôlée, société sous surveillance. Le « miracle rwandais » a un coût, celui des libertés individuelles et de la démocratie. Le Sénégal, avec son histoire de débat public, de société civile vibrante et de tradition démocratique, peut-il et doit-il s’en inspirer ?

La participation de Faye à cet événement s’inscrit dans une tendance plus large : celle des dirigeants africains cherchant à importer des modèles « clés en main », sans toujours en mesurer les conséquences. Mais une politique publique ne se résume pas à une photo opportune ou à un geste symbolique. Elle doit répondre aux besoins concrets des populations, dans leur diversité et leur complexité.

La communication présidentielle présente cette marche comme une preuve de « solidarité africaine » et d’engagement écologique. Pourtant, rien n’indique que cette initiative soit adaptée au contexte sénégalais. À Kigali, la Car Free Day fonctionne parce qu’elle s’inscrit dans un système centralisé, où la discipline est imposée autant qu’encouragée. Au Sénégal, où l’économie informelle dépend largement des transports individuels (motos-taxis, voitures partagées), une telle mesure serait-elle réaliste ? Et surtout, souhaitable ?

Le vrai défi pour le Sénégal n’est pas de copier le Rwanda, mais de trouver des solutions originales, adaptées à ses spécificités : un climat aride, une économie informelle omniprésente, des infrastructures urbaines souvent défaillantes. Plutôt que de s’aligner sur un modèle étranger, Faye ferait mieux de s’atteler à résoudre les problèmes locaux : transports publics inefficaces, pollution croissante à Dakar, gestion chaotique des déchets. La propreté et l’ordre ne se décrètent pas ; ils se construisent, avec et pour les citoyens.

De plus, en choisissant de s’afficher aux côtés de Kagame, Faye prend le risque de normaliser un régime dont les dérives sont documentées. Amnesty International et Human Rights Watch ont régulièrement pointé du doigt les restrictions aux libertés au Rwanda : arrestations arbitraires, disparitions, répression des voix dissidentes. Est-ce vraiment le partenaire que le Sénégal, fier de sa tradition démocratique, devrait mettre en avant ?

Le Rwanda est un petit pays, densément peuplé, où l’État exerce un contrôle strict sur la société. Le Sénégal, avec sa diversité ethnique, sa tradition de débat et son économie informelle, ne peut pas – et ne doit pas reproduire ce schéma. Importer des recettes sans les adapter, c’est prendre le risque de l’échec, ou pire, de l’autoritarisme. La Teranga sénégalaise, cette culture de l’accueil et du dialogue, mérite mieux qu’un copier-coller de politiques publiques conçues pour un autre contexte.

La Car Free Day est une belle initiative… à Kigali. Mais au Sénégal, où les alternatives aux voitures individuelles sont rares et coûteuses, une telle mesure serait-elle autre chose qu’un coup de communication ? Sans investissements massifs dans les transports en commun, les pistes cyclables ou les trottoirs sécurisés, elle risquerait d’aggraver les inégalités, en pénalisant ceux qui n’ont pas les moyens de se passer de leur véhicule.

Le continent regorge de talents, d’idées et de solutions locales. Pourquoi le Sénégal se contenterait-il d’imiter, alors qu’il pourrait innover ? Des villes comme Dakar pourraient devenir des laboratoires de mobilité durable, en s’appuyant sur leur dynamisme et leur créativité. Au lieu de marcher dans les pas de Kagame, Faye devrait encourager les initiatives locales, soutenir les start-ups vertes, et impliquer les citoyens dans la construction d’un modèle sénégalais de développement durable.

S’afficher avec Kagame, c’est aussi envoyer un message ambigu à la communauté internationale. Le Sénégal, souvent présenté comme un bastion de la démocratie en Afrique de l’Ouest, perd en crédibilité en s’associant à un régime controversé. La « convergence de vues » évoquée par la présidence sonne comme une caution morale accordée à un système qui réprime ses opposants. Est-ce le signal que le Sénégal veut envoyer ?

D’autres pays africains ont choisi des chemins différents. Le Burkina Faso, malgré ses crises, a su développer des initiatives locales de gestion des déchets. Le Ghana mise sur l’économie circulaire et les énergies renouvelables. Même en Afrique de l’Est, l’Éthiopie et la Tanzanie explorent des modèles de développement moins centralisés que celui du Rwanda. Ces exemples montrent qu’il existe des alternatives à l’imitation servile.

En Europe, des villes comme Paris ou Barcelone ont instauré des zones sans voiture… mais après des décennies d’investissements dans les transports publics et une large concertation avec les habitants. Le Sénégal mérite la même rigueur. Plutôt que de s’inspirer de Kigali, pourquoi ne pas regarder du côté de ces expériences, plus compatibles avec les valeurs démocratiques ?

La marche de Kigali est un symbole. Mais les Sénégalais n’ont pas besoin de symboles : ils ont besoin d’actions. D’actions adaptées à leurs réalités, respectueuses de leurs libertés, et porteuses d’un vrai progrès social et environnemental.

Le président Faye a le choix : soit il continue sur la voie du mimétisme, en important des modèles étrangers sans les adapter ; soit il ose innover, en s’appuyant sur les forces du Sénégal sa jeunesse, sa société civile, sa tradition de débat. La Car Free Day de Kigali est une belle image. Mais le Sénégal mérite mieux qu’une copie pâle d’un modèle qui, de toute façon, ne lui convient pas.

La vraie modernité ne consiste pas à suivre, mais à tracer sa propre route. À Faye de décider s’il veut être le Kagame de l’Ouest africain… ou le président d’un Sénégal fier, libre et inventif.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Edouard Sané.
Mis en ligne : 27/10/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top