La paranoïa du complot : Quand la peur de l’ancien régime paralyse le nouveau - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 28/10/2025 12:10:00

La paranoïa du complot : Quand la peur de l’ancien régime paralyse le nouveau

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Dans une tribune récente aux accents de réquisitoire, Me Ciré Clédor Ly dépeint un Sénégal hanté par les « forces de l’ancien système » et dénonce une contre-révolution silencieuse, organisée depuis l’étranger par l’ancien président Macky Sall. L’avocat évoque une « 5ᵉ colonne » prête à lancer un « ralliement insurrectionnel » depuis Paris, sous la houlette d’un mystérieux « corbeau blanc ». Si le ton est révolutionnaire, le discours révèle surtout une obsession conspirationniste qui, loin de renforcer la légitimité du nouveau pouvoir, risque de l’enfermer dans une logique de persécution et de méfiance généralisée. À force de voir des ennemis partout, le régime de Sonko-Diomaye ne reproduit-il pas, sous couvert de rupture, les mêmes travers autoritaires qu’il prétend combattre ?

Me Ly appelle à une « justice implacable » et à des « mesures radicales » pour éradiquer l’ancien système, estimant que « certains actes et certaines paroles ne relèvent pas du droit à la libre expression », mais constituent une « apologie de crimes » à réprimer sans délai. Pourtant, cette rhétorique, qui diabolise toute opposition et toute critique, rappelle étrangement les méthodes des régimes autoritaires africains des décennies passées. En Guinée sous Sékou Touré, au Dahomey sous Hubert Maga, ou plus récemment au Mali et au Burkina Faso, l’accusation systématique de complot a souvent servi à justifier la répression des opposants et à museler la société civile. Comme le souligne la Fondation Jean-Jaurès, « l’addiction au pouvoir » et la peur de la contre-révolution ont régulièrement conduit à des dérives liberticides, où la chasse aux sorcières remplace le débat démocratique.

Au Sénégal, les premiers signes de cette dérive sont déjà visibles. Depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, les interpellations d’opposants, les pressions sur les médias et les mutations de magistrats perçues comme politiques se multiplient. Plusieurs voix, y compris au sein de la société civile, s’inquiètent d’un retour des « réflexes autoritaires » et d’une justice instrumentalisée. Comme le note un juriste sénégalais, « les convocations ne doivent pas être une arme pour faire taire des voix discordantes ». Pourtant, le tandem exécutif semble préférer la fermeté à l’apaisement, au risque de fragiliser la confiance des Sénégalais, qui attendaient une rupture avec les pratiques du passé.

Le nouveau régime se présente comme le champion de la souveraineté et de la lutte contre le néo-colonialisme. Mais en brandissant sans cesse la menace de la « 5ᵉ colonne » et en criminalisant toute dissidence, il adopte une posture qui rappelle étrangement celle des régimes qu’il dénonce. En Mauritanie, en Guinée, ou encore au Congo-Brazzaville, l’accusation de complot a souvent été le prétexte à des purges et à des restrictions des libertés, sous prétexte de défendre la révolution ou l’indépendance. Or, comme le rappelle l’historien Francis Laloupo, « la démocratie n’est pas un complot ourdi par l’Occident, mais un idéal que les peuples africains ont le droit de revendiquer ».

Le danger est double : non seulement cette paranoïa du complot risque de paralyser toute velléité de réforme en concentrant l’énergie du pouvoir sur la traque des ennemis réels ou supposés, mais elle crée aussi un climat de peur où toute critique est interprétée comme une trahison. À force de voir des complots partout, le régime de Sonko-Diomaye pourrait bien devenir aussi oppressif que celui qu’il a remplacé, au nom même de la lutte contre l’oppression.

Me Ly insiste sur la nécessité d’une « justice de fer » pour garantir la réussite de la révolution. Pourtant, les premiers mois du nouveau pouvoir montrent une justice en surchauffe, où les procédures expéditives et les pressions sur les magistrats soulèvent des questions sur son indépendance. Comme le relève Afrique Confidentielle, « l’emprise de l’exécutif sur le système judiciaire ne se limite pas à des symboles : elle s’exerce au quotidien par des pressions et interférences assumées ». En annulant les décrets de Macky Sall et en appelant à des poursuites pour « haute trahison », le pouvoir actuel semble plus soucieux de régler des comptes que de construire un État de droit.

Cette dérive est d’autant plus préoccupante que le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, risque de perdre ce qui faisait sa singularité en Afrique de l’Ouest. À force de justifier chaque arrestation ou chaque mutation de magistrat par la lutte contre la contre-révolution, le régime de Sonko-Diomaye s’éloigne des attentes d’une population qui aspire avant tout à la justice sociale, à la transparence et à la prospérité.

La tribune de Me Ciré Clédor Ly illustre le risque d’un pouvoir obsédé par sa propre légitimité, au point de diaboliser toute opposition et de s’enfermer dans une logique de persécution. En reproduisant les méthodes qu’il dénonce, le nouveau régime pourrait bien trahir les espoirs qu’il a suscités. La vraie rupture ne consiste pas à remplacer un autoritarisme par un autre, mais à construire un État où la justice est indépendante, où la critique est tolérée, et où le débat démocratique prime sur la chasse aux sorcières.

Le Sénégal mérite mieux qu’un pouvoir qui, sous couvert de révolution, installe un climat de méfiance et de peur. La vraie souveraineté ne se mesure pas à la capacité à réprimer, mais à celle de garantir les libertés et de répondre aux attentes du peuple. À défaut, la « révolution » sénégalaise ne sera qu’un changement de visage au sommet, sans véritable transformation pour les citoyens. Le tandem Sonko-Diomaye a le devoir de prouver qu’il est capable de gouverner autrement. Sinon, l’histoire retiendra qu’il a succombé au même piège que ceux qu’il a renversés.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mor Faye.
Mis en ligne : 28/10/2025

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