Féminisation de façade : Les femmes toujours reléguées au second plan - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 31/10/2025 08:10:00

Féminisation de façade : Les femmes toujours reléguées au second plan

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Le Conseil des ministres du 22 octobre 2025, présidé par le Chef de l’État Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a acté une série de nominations dans l’administration territoriale et plusieurs ministères. Présentées comme une volonté de « renforcer l’efficacité des services publics », ces décisions méritent une lecture critique, notamment sur la question de la représentation féminine. Derrière une poignée de noms féminins, se cache une réalité bien moins reluisante : celle d’une féminisation de façade, où les femmes restent cantonnées à des postes secondaires, tandis que les leviers de pouvoir restent fermement masculins.

Depuis des décennies, le Sénégal se targue de progresser vers l’égalité femmes-hommes. La Constitution, les lois sur la parité, et les engagements internationaux (comme les Objectifs de développement durable) ont ancré cette ambition dans le discours politique. Pourtant, force est de constater que les actes peinent à suivre. Les nominations du 22 octobre 2025 en sont une illustration frappante : sur les 43 postes pourvus, seulement 10 reviennent à des femmes. Soit à peine 23 %, un chiffre bien éloigné de la parité promise.

Pire, la plupart de ces nominations féminines concernent des postes d’adjointes ou de sous-préfètes, là où le pouvoir décisionnel est limité. Les postes stratégiques préfets, directeurs généraux, secrétaires généraux restent majoritairement occupés par des hommes. Cette répartition n’est pas anodine : elle reflète une logique persistante de relégation des femmes aux rôles de second plan, où leur présence sert davantage à orner les statistiques qu’à influencer les politiques publiques.

Prenons les exemples les plus parlants. Madame Djireye Clotilde Coly, experte-comptable, est nommée Directrice de l’Emploi au Ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Une nomination qui pourrait sembler positive, si elle n’était pas l’exception qui confirme la règle. En effet, dans le même ministère, le poste de Directeur de l’Orientation professionnelle revient à Madame Khady Mbodj, psychologue conseiller, tandis que les autres directions clés (Justice, Industrie, Intérieur) sont confiées à des hommes.

Dans l’administration territoriale, le déséquilibre est encore plus criant. Sur les 10 femmes nommées, 8 le sont à des postes d’adjointes de préfet ou de sous-préfètes. Les deux autres, Madame Néné Diombana et Madame Jacqueline Dite Khadidiatou Diop, accèdent à des fonctions d’adjointes de préfet, mais jamais à la tête d’un département. À l’inverse, les postes de préfet véritables pivots de l’action territoriale sont systématiquement attribués à des hommes.

Cette distribution n’est pas le fruit du hasard. Elle révèle une stratégie bien rodée : afficher quelques visages féminins pour donner l’illusion d’une avancée, tout en maintenant les femmes éloignées des centres de décision. Comme le soulignait déjà un rapport de l’ONU Femmes en 2023, « la présence des femmes dans les instances de pouvoir ne suffit pas ; encore faut-il qu’elles y exercent un pouvoir réel ».

Des pays comme le Rwanda ou la Suède ont adopté des quotas stricts et des mécanismes de transparence pour garantir une représentation équilibrée. Au Rwanda, les femmes occupent 61 % des sièges au Parlement et 50 % des postes ministériels. En Suède, la parité est une exigence légale pour les conseils d’administration des entreprises publiques. Ces exemples montrent qu’une volonté politique forte peut transformer les rapports de pouvoir.

Au Sénégal, en revanche, les avancées restent superficielles. Les lois sur la parité existent, mais leur application bute sur des résistances culturelles et politiques. Les nominations du 22 octobre 2025 en sont la preuve : malgré les textes, les vieilles habitudes ont la peau dure.

Une administration qui exclut la moitié de la population de ses postes clés ne peut prétendre représenter équitablement les citoyens. Les femmes, qui constituent plus de 50 % de la population sénégalaise, méritent mieux que des miettes symboliques. Des études montrent que les équipes diversifiées prennent de meilleures décisions. En limitant l’accès des femmes aux postes à responsabilité, l’État se prive de talents et d’expertises, au détriment de l’intérêt général.

Comment encourager les filles à aspirer à des carrières ambitieuses quand elles voient que, même avec des compétences reconnues, elles restent cantonnées à des rôles subalternes ? En réservant les postes de pouvoir aux hommes, on renforce les stéréotypes selon lesquels le leadership serait une affaire masculine. Cela entretient un cercle vicieux : moins de femmes aux postes clés signifie moins de modèles féminins, et donc moins de candidates pour les générations futures.

La solution ne réside pas dans des nominations cosmétiques, mais dans une réforme profonde des processus de recrutement et de promotion. Voici quelques pistes :

Instaurer des quotas contraignants pour les postes de préfet et de directeur général, avec des sanctions en cas de non-respect. Rendre publics les critères de nomination, pour éviter les passe-droits et garantir que les compétences priment sur les réseaux. Former et accompagner les femmes vers les postes à responsabilité, via des programmes de mentorat et de leadership. Sensibiliser les décideurs aux biais inconscients qui favorisent les hommes dans les processus de sélection.

Les nominations du 22 octobre 2025 sont un miroir tendu à la société sénégalaise : elles reflètent ses avancées, mais aussi ses limites. Tant que les femmes seront reléguées aux postes d’adjointes ou de sous-préfètes, la parité restera une coquille vide.

Il faut passer des discours aux actes. La crédibilité de l’État en dépend, tout comme l’avenir d’une administration truly représentative et efficace. Comme le disait l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie, « Nous devons tous être féministes » y compris, et surtout, ceux qui détiennent le pouvoir de nommer.

La parité à petit feu ne suffit plus. Il faut allumer le brasier.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Eve Sagna.
Mis en ligne : 31/10/2025

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