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L’information est tombée comme un coup de massue : Me Pierre-Olivier Sur, avocat de l’ancien président Macky Sall, s’est vu refuser l’accès à plusieurs hôtels de Dakar pour y tenir une conférence de presse sur la « dette cachée ». Motif invoqué ? La crainte de représailles. Aucun établissement n’a osé accueillir l’événement, forçant les organisateurs à se replier sur le siège du parti. Derrière cet épisode anodin en apparence se cache une réalité bien plus troublante : celle d’une peur généralisée, savamment entretenue, qui transforme les acteurs économiques en auxiliaires d’une censure indirecte. Ce refus collectif n’est pas un simple incident logistique, mais le symptôme d’un malaise démocratique profond, où la liberté d’expression se heurte à l’autocensure et à la complicité passive des entreprises.
À travers cet exemple, c’est toute la question du rôle des acteurs privés dans la restriction des libertés fondamentales qui se pose, ainsi que l’hypocrisie d’un État qui se dit démocratique tout en tolérant voire en encourageant de telles pressions.
L’usage de la peur comme outil de contrôle politique n’est pas nouveau. Les régimes autoritaires l’ont toujours exploitée, mais les démocraties, elles aussi, savent en user avec subtilité. Comme le souligne l’historien Patrick Boucheron, « l’exercice politique de la peur ne s’applique pas uniquement en temps de guerre, mais imprègne constamment les enjeux socioéconomiques ». Aux États-Unis, le maccarthysme a montré comment une démocratie peut basculer dans la répression en instrumentalisant la peur de l’ennemi intérieur. En France, la crise sanitaire a révélé comment des mesures restrictives, présentées comme temporaires, peuvent s’installer dans le paysage et normaliser la limitation des libertés, y compris économiques. Au Sénégal, pays souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, le refus des hôtels d’accueillir une conférence politique rappelle ces mécanismes : pas besoin de loi liberticide, il suffit que la menace soit suffisamment crédible pour que chacun se censure de lui-même.
Les hôtels, en première ligne, deviennent ainsi les maillons faibles d’une chaîne de pression invisible. Leur dépendance à l’État (autorisations, subventions, contrats publics) les rend vulnérables à toute forme de rétorsion, réelle ou imaginée. En refusant d’accueillir Me Sur, ils ne font pas que protéger leurs intérêts : ils participent activement à l’étouffement du débat public.
Le cas de Dakar n’est pas isolé. Partout dans le monde, des entreprises hôtels, salles de spectacle, médias ont servi de relais à la répression politique, par peur des conséquences. Pendant le maccarthysme, des salles de cinéma refusaient de projeter des films jugés subversifs ; en Turquie ou en Hongrie, des hôtels ont fermé leurs portes à des opposants ou des journalistes. Ces acteurs économiques, pourtant garants de la neutralité des espaces publics, deviennent des gardiens zélés de l’ordre établi, par calcul ou par lâcheté.
Au Sénégal, le silence des institutions (ministère des Finances, Cour des comptes) sur la demande de Macky Sall concernant le rapport de l’IGF aggrave ce climat de suspicion. Comment croire en la transparence d’un système où même les lieux d’échange sont soumis à une forme de veto politique ? La démocratie ne se mesure pas seulement à l’aune des élections, mais aussi à la capacité des citoyens et des entreprises, à résister aux pressions. Or, ici, la peur a gagné : les hôtels préfèrent se soumettre plutôt que de risquer des « représailles ».
Cette complicité passive pose une question fondamentale : jusqu’où peut-on déléguer à des acteurs privés le soin de réguler la liberté d’expression ? La réponse est claire : dès lors qu’ils cèdent à la peur, ils trahissent leur rôle social et deviennent des rouages d’un système répressif.
Le Sénégal se targue d’être une démocratie modèle en Afrique de l’Ouest. Pourtant, en laissant planer le spectre de sanctions contre ceux qui osent accueillir des voix dissidentes, les autorités envoient un message ambigu : la liberté d’expression est tolérée… tant qu’elle ne dérange pas. Cette stratégie, décrite par le politologue Corey Robin comme une « terrorisation démocratique », permet de museler l’opposition sans avoir à recourir à la force brute. Le résultat ? Une opposition affaiblie, un débat public appauvri, et une normalisation de l’autocensure.
Les hôtels, en refusant d’assumer leur rôle de lieux neutres, valident cette logique. Leur attitude rappelle celle des entreprises européennes pendant la crise sanitaire, où la peur des amendes ou des fermetures a souvent primé sur la défense des libertés. À Dakar, le message est le même : mieux vaut se taire que risquer de déplaire.
L’histoire regorge de précédents. Sous le nazisme, les commerçants allemands refusaient de servir les Juifs par crainte des représailles ; aux États-Unis, des librairies ont censuré des ouvrages pendant la guerre froide. Plus récemment, en France, des salles de spectacle ont annulé des débats sous pression des autorités ou de groupes militants. Chaque fois, c’est la même mécanique : la peur, distillée avec précision, suffit à faire taire les consciences.
Au Sénégal, le scénario est identique, mais le décor est celui d’une démocratie formelle. Le danger n’est pas tant la répression ouverte que cette censure insidieuse, qui transforme chaque acteur économique en potentiel censeur. Comme l’écrit Judith Shklar, « le libéralisme de la peur » doit nous alerter sur les dérives des régimes qui, sous couvert de légalité, étouffent les dissidences.
L’affaire des hôtels de Dakar est un révélateur. Elle montre comment la peur, même non formulée, peut devenir un instrument de pouvoir plus efficace qu’une loi. Elle interroge aussi la responsabilité des entreprises : doivent-elles être les complices silencieux d’un système qui muselle la liberté, ou les remparts d’une démocratie vivante ?
Le repli de Me Sur sur le siège de l’APR est un symbole : celui d’une opposition contrainte de se terrer, d’un débat public confisqué, et d’une démocratie qui recule. Tant que la peur dictera les comportements, le Sénégal ne sera pas à l’abri d’un glissement autoritaire. La vraie question n’est pas de savoir qui a peur, mais qui a intérêt à entretenir cette peur. Et la réponse, hélas, semble évidente.
Comment inverser cette tendance ? Faut-il des garanties légales pour protéger les acteurs économiques qui résistent aux pressions politiques ? Le débat est ouvert.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Babacar Dieng.
Mis en ligne : 01/11/2025
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