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Récemment, le gouvernement sénégalais a annoncé avec fierté que la production nationale d’arachide pour la campagne 2024-2025 pourrait dépasser les 900 000 tonnes, un record salué comme la preuve d’une relance réussie du secteur agricole. Portée par des initiatives comme celle du Colonel Ismaïla SARR, devenu agriculteur modèle sur 50 hectares, et par des mesures telles que la création de coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) ou le programme « Allô Tracteurs », cette performance est présentée comme le fruit d’une mobilisation coordonnée entre l’État et les producteurs.
Pourtant, derrière ces chiffres encourageants se cachent des réalités structurelles bien moins reluisantes : inégalités criantes, dépendance chronique aux subventions, et précarité persistante des petits producteurs.
L’arachide reste la culture phare du Sénégal, employant des millions de ménages ruraux. Depuis des décennies, les pouvoirs publics misent sur des politiques de subvention des intrants (engrais, semences, matériel) pour doper la production. Pour la seule campagne 2024-2025, l’État a alloué 120 milliards de FCFA à ces aides, soit près de 197 millions de dollars. Pourtant, malgré ces investissements massifs, les résultats peinent à profiter équitablement à l’ensemble des agriculteurs.
Les exploitations de plus de 5 hectares, qui ne représentent que 53 % des ménages agricoles, captent près de 63 % des intrants subventionnés, laissant les petits producteurs en marge. Cette concentration des moyens crée un fossé entre une minorité d’agriculteurs « modèles », souvent issus d’autres secteurs ou bénéficiant de réseaux influents, et la majorité des paysans qui cultivent moins de 5 hectares et peinent à accéder aux ressources essentielles.
Les « premières estimations » de la Direction de l’Analyse, de la Prévision et des Statistiques Agricoles (DAPSA), souvent brandies comme preuve du succès, soulèvent des questions quant à leur fiabilité et leur représentativité. Les données de la DAPSA reposent sur des enquêtes par sondage auprès d’un échantillon limité de ménages, et l’institution elle-même reconnaît que la responsabilité des conclusions tirées de ces chiffres incombe aux utilisateurs, non à ses services. Or, les réalités de terrain contredisent parfois ces annonces optimistes. En 2024, les producteurs ont alerté sur une baisse drastique de leurs revenus, avec une production estimée entre 700 000 et 800 000 tonnes, bien loin des prévisions initiales, en raison notamment d’un accès restreint aux intrants et à des conditions climatiques défavorables.
Par ailleurs, la dépendance aux subventions pose un problème de durabilité. Que se passera-t-il si, pour des raisons budgétaires ou politiques, ces aides viennent à diminuer ? Les études montrent que le programme de subvention, bien qu’utile, souffre de dysfonctionnements majeurs : retards de livraison, mauvaise qualité des intrants, trafic vers les pays voisins, et ciblage inefficace des bénéficiaires. Résultat : les petites exploitations, les plus vulnérables, restent les plus exposées aux aléas du marché et du climat.
Les exploits médiatisés, comme celui du Colonel SARR, ne sont pas représentatifs de la situation de la majorité des agriculteurs. La mécanisation et les semences certifiées profitent d’abord aux gros producteurs, creusant les inégalités. Sans ces aides, la production s’effondre. En 2024, moins de 30 % des producteurs ont pu accéder à des engrais de qualité, limitant fortement les rendements.
Les chiffres de la DAPSA, souvent contestés par les organisations paysannes, ne reflètent pas toujours la diversité des situations locales. Les petits producteurs, qui forment l’écrasante majorité, voient leurs revenus stagner, voire chuter, malgré les records annoncés.
À l’instar du Sénégal, d’autres pays africains ont misé sur les subventions pour relancer leur agriculture. Pourtant, des modèles comme celui du Maroc ou de la Mauritanie, qui ont diversifié leurs filières et investi dans la transformation locale, montrent que la simple augmentation de la production ne suffit pas. Au Sénégal, la filière arachide reste peu compétitive face aux huiles végétales importées, et les prix bas imposés aux producteurs découragent l’investissement.
Les records de production d’arachide, aussi symboliques soient-ils, ne doivent pas masquer l’urgence d’une réforme structurelle. Il faut repenser les politiques agricoles pour qu’elles profitent à tous, et pas seulement à une élite. Cela passe par :
Un ciblage plus équitable des subventions, prioritairement vers les petits producteurs. Un renforcement de la transparence et de la fiabilité des statistiques agricoles. Des investissements dans la diversification des cultures et la transformation locale, plutôt que dans une dépendance accrue aux intrants et aux exportations.
La souveraineté alimentaire ne se décrète pas ; elle se construit par des politiques inclusives, durables et transparentes. Sans cela, les records d’aujourd’hui risquent de n’être que des mirages, laissant les paysans sénégalais toujours aussi précaires face aux défis de demain. Il faut agir, avant que les chiffres ne deviennent le seul héritage d’une agriculture en crise.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Kadia K.
Mis en ligne : 06/11/2025
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