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La récente passe d’armes entre Abass Fall, maire de Dakar, et Abdourahmane Diouf, ministre de l’Environnement, révèle bien plus qu’une simple querelle de personnes. Elle illustre, hélas, le piège dans lequel semble se refermer le président Bassirou Diomaye Faye : celui d’un chef d’État tiraillé entre sa dette envers le Pastef, le parti qui l’a porté au pouvoir, et son devoir de rassembler tous les Sénégalais. Si les échanges acerbes sur les réseaux sociaux peuvent prêter à sourire, ils trahissent une réalité bien plus préoccupante : celle d’un pouvoir déjà miné par les divisions internes, où les egos des « barons » du parti menacent de prendre le pas sur l’intérêt général.
À travers cette polémique, c’est la capacité même de Faye à gouverner qui est questionnée. Car comment concilier la loyauté envers ses alliés et l’exigence d’unité nationale, quand les premiers semblent plus soucieux de préserver leurs privilèges que de servir le pays ?
Bassirou Diomaye Faye a accédé à la présidence dans un contexte exceptionnel, porté par une coalition hétéroclite unie contre l’ancien régime. Mais cette victoire, aussi symbolique soit-elle, repose sur un équilibre précaire. Le Pastef, parti d’Ousmane Sonko, a été le fer de lance de cette dynamique, mais il n’a jamais caché ses ambitions : transformer une victoire électorale en hégémonie politique. Or, depuis son arrivée au palais, Faye doit composer avec des figures fortes, comme Abass Fall, dont l’influence et les attentes pèsent lourdement sur ses décisions. La polémique actuelle n’est que la partie émergée de l’iceberg : elle montre à quel point le président est otage d’un parti qui, loin de se fondre dans une logique d’État, continue de fonctionner en mode « opposition », avec ses réflexes de méfiance et ses règlements de comptes.
Abass Fall, en s’en prenant publiquement à Abdourahmane Diouf, ne défend pas seulement une ligne politique. Il rappelle à l’ordre un ministre dont les propos, « le président est au service de tous les Sénégalais, et non du Pastef uniquement », remettent en cause le dogme d’un parti qui se croit seul légitime. Pourtant, cette déclaration, aussi maladroite soit-elle, pose une question fondamentale : un président élu grâce à une coalition peut-il se permettre de gouverner pour tous, ou doit-il d’abord satisfaire ceux qui l’ont installé ?
La réaction d’Abass Fall est édifiante. En qualifiant Diouf de « profitard » et en lui reprochant son ingratitude, le maire de Dakar ne fait pas que régler un compte personnel. Il envoie un message clair à quiconque oserait s’écarter de la ligne du parti : la dissidence ne sera pas tolérée. Pire, il instrumentalise la notion de justice, accusant Diouf de douter de l’impartialité de la ministre de la Justice, comme si le Pastef avait le monopole de la vertu. Cette posture est d’autant plus problématique qu’elle révèle une confusion des genres : un parti politique ne peut se substituer à l’État, et un maire, fussât-il influent, ne peut dicter sa loi au gouvernement.
Pourtant, c’est bien cette logique qui semble prévaloir. Faye, jeune président sans expérience gouvernementale, est pris en étau. D’un côté, il doit rassurer une base militante qui attend des contreparties à son soutien (postes, influence, protection judiciaire). De l’autre, il a le devoir de gouverner pour l’ensemble des Sénégalais, y compris ceux qui n’ont pas voté pour lui. Or, chaque fois qu’un membre du gouvernement tente de rappeler cette évidence, comme Diouf, il est immédiatement rappelé à l’ordre. Le risque ? Une paralysie décisionnelle, où chaque réforme, chaque nomination, chaque déclaration est soumise à l’approbation des « barons » du Pastef.
La menace brandie par Abass Fall, « Le président prendra ses responsabilités en ne laissant jamais des gens comme toi saper l’unité de notre parti », est à cet égard révélatrice. Elle sonne comme un avertissement : l’unité du parti prime sur tout le reste, y compris sur l’intérêt national. Dans ces conditions, comment Faye pourrait-il mener une politique apaisée, alors que ses marges de manœuvre sont sans cesse rognées par les luttes internes ?
L’histoire politique du Sénégal regorge d’exemples où des présidents, prisonniers de leurs alliances, ont vu leur mandat saboté par les querelles partisanes. Sous Abdoulaye Wade, les divisions au sein du PDS avaient fini par asphyxier son second mandat. Macky Sall, lui, a dû composer avec les frondes internes de son parti avant de finalement s’en émanciper au prix d’une rupture brutale. Faye, lui, n’a pas encore cette légitimité historique. Son élection, bien que démocratique, reste perçue comme le fruit d’un mouvement protestataire plus que comme l’aboutissement d’un projet clair. Dans ce contexte, chaque faille est exploitée, chaque dissension devient une crise.
Pire, cette gestion clanique du pouvoir envoie un signal désastreux à l’opposition et à la société civile. Comment croire en la promesse d’un « nouveau Sénégal » quand les mêmes réflexes clientélistes et autoritaires resurgissent ? Quand un maire peut publiquement humilier un ministre sans que le président ne réagisse, c’est toute la crédibilité de l’exécutif qui est sapée. Les Sénégalais, las des divisions et des calculs politiciens, attendent des actes. Or, ce qu’ils voient, ce sont des polémiques stériles et des ego surdimensionnés.
La situation n’est pas sans rappeler celle de l’ANC en Afrique du Sud, où la lutte contre l’apartheid a cédé la place à des querelles internes interminables, affaiblissant le pays. Ou encore celle du Front Polisario au Sahara occidental, où les divisions ont paralysé toute velléité de solution politique. Dans ces cas, comme aujourd’hui au Sénégal, le parti devient une fin en soi, au détriment de la nation. Le Pastef, en refusant toute critique et en exigeant une allégeance absolue, reproduit les erreurs du passé. Il oublie une vérité simple : un parti qui gouverne doit savoir se réinventer, accepter le débat, et surtout, placer l’intérêt général au-dessus des intérêts partisans.
Bassirou Diomaye Faye a le choix : soit il reste prisonnier des luttes internes du Pastef, et son mandat sera marqué par l’instabilité et les règlements de comptes ; soit il prend le risque de s’affranchir de ses alliés les plus encombrants, au prix d’une crise ouverte. Mais dans les deux cas, c’est la démocratie sénégalaise qui sort perdante. Car un président qui ne maîtrise pas son camp ne peut maîtriser le pays.
La polémique entre Abass Fall et Abdourahmane Diouf n’est pas anecdotique. Elle est le symptôme d’un mal plus profond : celui d’un pouvoir qui, à peine installé, semble déjà rongé par les divisions. À Faye de prouver qu’il est capable de transcender ces clivages. Sinon, les Sénégalais, qui ont placé en lui tant d’espoirs, pourraient bien déchanter rapidement. Et dans un contexte économique et social déjà tendu, ce serait une tragédie.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pape Gueye.
Mis en ligne : 07/11/2025
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